Par le père Dino Gbebe
Le nom de Julien l’apostat restera à jamais gravé dans les annales de l’histoire comme celui d’un empereur renégat qui, dans le but de réhabiliter le paganisme, se mit à persécuter les chrétiens. C’était autour des années 360, au lendemain de la reconnaissance officielle du christianisme par l’empereur Constantin. Pour freiner la diffusion et la croissance de l’Église, Julien institua une hiérarchie de prêtres païens auxquels il accorda de nombreux privilèges. Sa haine à l’égard des chrétiens était liée, semble t-il, à un fait malheureux qui a marqué son enfance. Alors qu’il n’avait que six ans, Julien vit les gardes du palais royal massacrer son père, son frère et d’autres membres de sa famille. Profondément choqué, il se demanda comment l’empereur Constance, qui se prévalait d’être un bon chrétien, pouvait ordonner une telle barbarie. Le contre témoignage de l’empereur disqualifia pour toujours à ses yeux sa personne et sa religion (cf. Benoit XVI, Deus caritas est, n°24).
Ils sont peut-être nombreux ceux qui, à tort ou à raison, à l’instar du Julien l’apostat, rejettent le message évangélique à cause du manque d’amour des chrétiens. Ont-ils vraiment tort ? Le contre témoignage à l’amour, hélas, est l’un des scandales les plus douloureux de tous les temps.
Dans l’Évangile de ce dimanche, Jésus rappelle avec une insistance particulière, que l’amour doit être la vocation fondamentale des siens, une preuve de l’authenticité de leur mission : « Je vous donne un commandement nouveau : c’est de vous aimer les uns les autres. Comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres. Ce qui montrera à tous les hommes que vous êtes mes disciples, c’est l’amour que vous aurez les uns pour les autres ». Pourquoi, Jésus parle t-il de commandement nouveau alors qu’il n’est pas le premier à enseigner la primauté de l’amour ? En quoi consiste cette nouveauté par rapport à tous ceux qui, avant lui et après lui, ont eu à parler de l’amour ?
Il est évident qu’il ne s’agit pas d’une nouveauté « temporelle » mais plutôt d’une différence « substantielle », car l’amour que propose le Christ doit se reconnaître à certaines caractéristiques qu’il importe de présenter brièvement.
L’universalité. Il est question ici d’un amour sans barrières ni frontières, offert à tout homme, y compris à l’ennemi ; un amour qui prend comme modèle la bonté sans limites de Dieu envers chacune de ses créatures.
L’intensité. La deuxième caractéristique de cet amour c’est son intensité. Sur ce point, Jésus lui-même donne une mesure qu’il confirmera quelques jours plus tard sur la croix, en s’offrant pour l’humanité : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime ». Aimer jusqu’au bout, aimer jusqu’au don de soi : voilà la grande leçon de l’amour du Christ.
L’origine divine. L’amour chrétien ne prend pas sa source dans nos sentiments fugaces et inconstants mais plutôt en Dieu. C’est dans ce sens que Saint Paul affirme, dans sa lettre aux Romains : « L’amour de Dieu est répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous est donné ». Ainsi, c’est dans la mesure où nous nous laissons habiter par l’Esprit que nous pouvons aimer comme Dieu aime. Car, s’il n’est pas alimenté à la source, notre amour court le risque de s’épuiser. En voici une divertissante illustration.
Lorsqu’on proposa pour la première fois au vieux Roger d’ouvrir un compte en banque pour y déposer ses revenus, il pensa qu’il s’agissait d’une plaisanterie. Ses biens, disait-il, étaient parfaitement en sécurité dans son coffre-fort. Puis, il se laissa convaincre et fini par confier ses ressources à un établissement financier qui lui remit un chéquier en lui expliquant que dorénavant il lui suffisait d’y apposer sa signature pour régler ses problèmes financiers. D’abord réticent, le vieux Roger apprit vite la leçon. Rien qu’une signature pour donner de l’argent ? C’était si facile !Il prit tellement goût à cet exercice que l’inévitable finit par arriver. On le convoqua à la banque pour lui signifier que son compte était à découvert et qu’il fallait effectuer un nouveau dépôt. « Ne vous en faites pas, dit-il avec un large sourire ; combien faut-il déposer ? Je vais vous signer tout de suite un chèque ! ». Pauvre Roger ! Sans doute n’avait-il pas compris que le problème était justement de signer des « chèques sans provision ». Et nous ? Avons-nous vraiment compris que notre amour est un « amour sans provision » s’il n’est pas alimenté par l’Esprit ?