Par l’abbé Dino Gbebe
Si la folie en la résurrection est l’affirmation centrale du christianisme, c’est parce que la victoire du Christ sur la mort constitue l’événement fondateur de l’Église. Saint Paul, n’hésite d’ailleurs pas à déclarer : « Si le Christ n’est pas ressuscité, vide alors est notre message, vide aussi votre foi » (1 Co 15,14).
Pourtant face à cette profession de foi capitale, on a l’impression de se trouver devant une pyramide renversée dont la pointe touche à peine le sol. Effectivement, les récits qui nous sont proposés, aussi bien par les Évangiles que par les Apôtres, ne racontent pas l’événement même de la résurrection. En langage moderne, on dirait qu’il n’y a pas eu de reportage de la sortie du tombeau ; pas de camera cachée ni d’images saisies sur le vif. Le fondement de la foi n’est donc pas une description mais une annonce. La précision est de taille.
Dans le témoignage palpitant d’émotion que saint Luc nous livre en ce matin de Pâques, on remarque d’ailleurs que tout baigne dans un climat de surprise, d’étonnement. Rappelons brièvement les faits.
Le premier jour de la semaine, de bon matin, quelques femmes se rendent au tombeau pour embaumer le corps de Jésus. Le cœur en peine, elles vont rendre les derniers devoirs de l’amour à celui qui a transformé leur vie et qu’un odieux complot a fauché, quelques jours plus tôt, dans la fleur de l’âge. Elles vont accomplir les onctions rituelles sur le corps du jeune prophète enseveli en toute hâte, la veille du grand Sabbat.
Jérusalem est encore endormie après la fête et dans les rues désertes, il règne un silence de lassitude. On dirait que le peuple a déjà oublié le drame qui s’est déroulé devant ses yeux. Ce n’était, après tout, qu’un condamné à mort, un de plus.
Parvenues au tombeau, elles ont la bouleversante surprise de découvrir que la pierre qui fermait le sépulcre a été roulée de côté. Intriguées, elles pénètrent à l’intérieur pour se rendre à l’évidence : le corps du Christ a disparu. Tout simplement.
C’est alors que leur apparaissent deux hommes portant un vêtement éblouissant qui leur adressent un message en trois temps. D’abord une question : « Pourquoi cherchez-vous le vivant parmi les morts » ? Ensuite une affirmation : « Il n’est pas ici, il est ressuscité ». Enfin un rappel : « Rappelez-vous ce qu’il vous a dit quand il était encore en Galilée : il faut que le Fils de l’homme soit livré aux mains des pécheurs, qu’il soit crucifié et que le troisième jour, il ressuscité ».
Dans cette triple annonce de la victoire du Christ sur la mort, tout est dit. Mais il est encore trop tôt pour comprendre. Saisies d’effroi, elles rapportent les faits aux Onze apôtres qui ne cachent pas leur incrédulité. Même lorsqu’il découvre à son tour le tombeau ouvert et le linceul vide, Pierre ne perçoit pas encore le message.
Pourquoi donc une telle lenteur à croire à la résurrection ? C’est tout simplement parce que personne ne s’y attendait. A l’époque, en effet, nombreux étaient ceux qui, comme les Sadducéens ne croyaient pas à la possibilité d’une vie au-delà de la mort. Rappelons que c’est seulement vers le 2ème siècle avant Jésus Christ, dans les livres tardifs de l’Ancien Testament, que l’idée de la résurrection s’est affirmée avec une relative clarté. Au plus fort de la persécution, les juifs pieux pensaient qu’à la fin des temps, les justes ressusciteraient pour recevoir de Dieu la récompense de leurs bonnes œuvres. Comme on était loin de l’événement rapporté par les Évangiles !
La foi chrétienne, disons-le encore une fois, n’est pas basée sur une doctrine mais plutôt sur un fait bouleversant qui a remis en question toutes les conceptions de l’époque. Le Christ notre Pâques est ressuscité, prémices de ceux qui croient en lui. Il est passé de la mort à la vie, du tombeau à la lumière, de l’humiliation à la gloire. Avec lui, nous sommes tous appelés à passer du doute à l’espérance, de l’égoïsme à l’amour, du péché à la grâce, de la peur à l’assurance.
C’est bien en cela que consiste pour nous aujourd’hui vivre en hommes ressuscités. Au 2ème siècle après Jésus Christ, dans la ville d’Athènes, un philosophe célèbre du nom d’Athënagoras décida d’écrire contre les chrétiens et, dans ce but, se mit à lire leurs et à regarder vivre. Il fut tellement impressionné par leur message et le témoignage de leur vie qu’il se convertit lui-même et écrivit à l’empereur Marc Aurèle une lettre dans laquelle il déclarait ceci : « Chez nous, vous trouverez des ignorants, des manœuvres, de vieilles femmes qui ne pourraient peut-être pas prouver par des raisonnements la vérité de notre doctrine, mais par leurs œuvres ils montrent l’effet bienfaisant qu’elle produit quand on est persuadé qu’elle est vraie. Ils ne font pas de discours, mais des bonnes œuvres… ils donnent à ceux qui leur demandent et aiment leur prochain comme eux-mêmes ». Quel beau témoignage !
Athënagoras a écrit cela des chrétiens de son temps. Nos contemporains oseront-ils affirmer la même chose en nous voyant vivre ? Saurons-nous, à travers nos actes, manifester, comme au début de l’Eglise, que le Christ est vraiment ressuscité ?