Homélie du 3e dimanche de
Carême – 24 mars 2019
À l’occasion du baptême d’un petit enfant
Par l’abbé Gaël de Breuvand
C’est la transcription d’une prédication orale, les titres sont ajoutés après
transcription
I – dans l’adversité, choisir de faire confiance
Les lectures de ce dimanche ne sont pas très faciles. Et la question qui est posée, peut-être, c’est : Pourquoi le Mal ? Pourquoi est-ce que cette tour s’est cassé la figure ? Pourquoi est-ce que Pilate a massacré ces Galiléens ? Pourquoi cet enfant est-il tombé malade ? Pourquoi est-ce qu’il y a des guerres ? Pourquoi est-ce qu’il y a des famines ? Pourquoi tout ce Mal ? On aimerait bien répondre « Ben, parce que ». Mais on ne peut pas. C’est tellement vrai que Jésus lui-même ne répond pas. Et un livre entier de la Bible, le Livre de Job, cherche à répondre à cette question, et cela se conclut par une non-réponse. Non, on ne peut pas dire pourquoi le Mal.
La seule chose que le Seigneur nous dit, c’est : « Faites-moi confiance ». Faites-moi confiance. Et Il nous le prouve. Le Mal, c’était lorsque le peuple était en Égypte, esclave et malheureux. Et le Seigneur dit : « Oui, j’ai entendu la misère de Mon peuple. Oui, j’ai vu et entendu ses cris sous les coups des surveillants. » Le Seigneur se penche vers nous. Lui, qui est Dieu, le Très-Haut, tellement différent de nous, le Tout-Autre, Il vient vers nous et Il se fait le Tout-Proche. Il veut prendre soin de nous. Et c’est le début de cette alliance entre un peuple et Dieu. Et Dieu, Lui, est fidèle, Il ne nous laisse pas tomber. Et saint Paul, bien des siècles plus tard, relit cet épisode : le Seigneur s’était approché de nous et Il nous protégeait, Il était fidèle; Et nous, par contre, nous n’étions pas très fidèles, et on récrimine face aux difficultés, aux combats, face aux serpents venimeux, face à la famine, face à la sécheresse, eh bien, on râle. On râle. Et le Seigneur nous propose un autre chemin, celui de la confiance. Le chemin de la confiance.
II – Se convertir
« Mais si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de même. » C’est dur, cette phrase ! « Si vous ne vous convertissez pas », ce sera pire. Oui, car il nous faut changer de regard. Il nous faut regarder non pas comme si nous étions faits pour rester sur cette terre toujours, comme si notre plus grand bonheur était terrestre. Il nous faut ouvrir les yeux et réaliser, comme saint Paul le disait la semaine dernière, que nous sommes « citoyens du ciel ». Nous sommes citoyens du ciel ! Et il nous faut accepter de changer notre regard : le bonheur n’est pas dans notre confort, le bonheur n’est pas dans ma vie longue, le bonheur n’est pas dans la vie riche, ni même dans la vie puissante. Le bonheur est dans une vie remplie d’amour. C’est un vrai combat. C’est pour cela que nous avons besoin de Dieu. C’est pour cela que Paul (le baptisé du jour) aujourd’hui s’avance et, par la voix de ses parents, fait un choix. Et il dit : « Seigneur, je veux accueillir le cadeau que Tu veux me faire. Je veux changer de vie. Je veux me laisser envahir par Ta présence. De telle sorte que Ta présence déborde de moi. » C’est exactement le signe qui va être donné par la transmission de la lumière du cierge pascal. Ce Christ donne Sa vie et cette vie, nous sommes chargés de la porter au monde. Alors, « si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de même », et même pire, cela n’aura aucun sens. Nous sommes invités à donner du sens à tous nos actes, à tout ce que nous faisons, et même à notre mort fait partie de notre vie. C’est pour cela qu’il est important de ne pas rater sa mort, de ne pas passer à côté. C’est pour cela que dans la grande litanie des saints que l’on a aux ordinations, par exemple, on demande : « de la mort imprévue, délivre-nous, Seigneur ». Ce serait une mauvaise nouvelle de ne pas avoir le temps de se préparer. Ou bien, on fait comme les saints, et on est prêt avant. Alors il faut nous préparer.
III – Principes de morale
Quand j’étais au séminaire – c’est le troisième point – on m’a expliqué que quand on prêchait, quand on faisait des homélies, il ne fallait pas faire la morale, et je pense que c’est une bonne idée… il ne faut pas faire la morale. Pourtant, toute notre vie est guidée par la morale. En grec, on dirait « éthique ». Et, du coup, il faut quand même avoir les moyens de discerner ce qui est bon, ce qui est beau, ce qui est vrai, ce qui nous fait du bien, ce qui fait du bien à notre monde, et puis discerner ce qui ne fait pas du bien. Du coup, je vous invite à réfléchir sur la conversion à laquelle nous sommes appelés. La conversion, c’est celle de nos actes. Il y a deux dimensions dans l’acte. Attention, c’est un peu précis. Il y a d’abord un objet matériel : c’est la manière dont je pose l’acte. Par exemple, je fais l’aumône, ça c’est un objet matériel. Quand je donne une claque à mon voisin, c’est un objet matériel. D’accord ? Dans les objets matériels, il y en a qui sont objectivement bons et qui seront toujours bons, et il y a des objets qui sont objectivement mauvais qui ne seront jamais bons ; et puis, il y a des objets qui sont neutres. Mais, cela ne suffit pas pour parler de la valeur d’un acte, pour savoir s’il fait grandir le Royaume, pour savoir s’il fait grandir l’amour ou pas. Il me faut une deuxième dimension : c’est l’intention. Reprenons notre exemple. Je fais l’aumône, je donne de l’argent à une œuvre et je le fais savoir au monde entier : « J’ai donné beaucoup d’argent à telle œuvre. » Mon intention, quelle est-elle ? Est-elle de faire du bien en aidant une œuvre, ou est-ce qu’elle est de me faire bien voir et de flatter mon orgueil ? Si elle est de flatter mon orgueil, je viens de réduire à néant toute la bonté de l’objet. Alors oui, il en reste un tout petit peu. Objectivement, l’œuvre profite de mon don. Mais, en fait, invisiblement, je me suis blessé moi-même, et du coup j’ai perdu toute la valeur de cet acte. M’étant blessé moi-même, j’ai blessé les autres, j’ai blessé notre monde. Et on pourrait faire le tour : on a plein d’objets bons qu’on peut réduire à néant. Alors, heureusement, on se regarde et on se demande : « Il n’y a pas beaucoup d’actions que je pose comme actes d’amour, du coup est-ce que tout ce que je fais est mauvais ? » Mais le Seigneur et nous, savons bien que toute notre vie, nous ne sommes pas dans le blanc, blanc pur, ni dans le noir absolu, mais nous sommes dans un gris et, dans ce gris, il nous faut avancer en pureté, en clarté, pour que notre acte gagne en amour. Oui, il est normal quand je fais du bien, par exemple j’offre un cadeau, je le fais par amour, pour tout son bien et sa joie, et cela c’est la valeur, la bonté de l’acte, et puis j’attends peut-être de la reconnaissance. Mais si je ne pose l’acte que pour la reconnaissance, je risque de blesser tout cela.
Donc, on peut
parler des actes bons avec une intention bonne. On peut parler des objets bons
avec une intention mauvaise, qui gâche tout la bonté de l’acte ; et puis
il y a des actes neutres. Il y a un certain nombre d’actes neutres dont la
qualité peut dépendre entièrement de l’intention. Et puis, il y a les actes qui
sont mauvais. Quelle que soit l’intention, l‘acte reste mauvais. Même si je ne
m’en rends pas compte. Donc, même si, en conscience, je me dis ce n’est pas si
mal. Le meurtre, par exemple, c’est forcément un acte mauvais, même avec la meilleure
intention du monde. « Ah il souffre
beaucoup, si je le tue, ce sera mieux pour Lui ! ». Non, ça reste
mauvais. Ça ne peut pas devenir bon. Même avec la meilleure intention. C’est
pour cela que l’on dit que l’enfer est pavé de bonnes intentions.
Et puis, cacher sciemment la vérité à quelqu’un. « Aaah, mon intention, c’est de le préserver. » Mais il y
a de bonnes chances que ce ne soit pas un acte bon, surtout s’il a droit à
cette vérité.
Ou bien, sous couvert d’une bonne intention, je veux améliorer ma relation et
ma complicité avec tel ami ; donc on va commencer une conversation et on
va dauber tout ce qu’on peut sur le voisin. Dire du mal du voisin, ce n’est
jamais un acte bon, même si l’intention était bonne.
Donc, voilà quelques pistes de réflexion : quand on agit, nous sommes invités
à discerner l’objet de l’acte et son intention. C’est difficile. C’est souvent plus
facile de ne pas trop se poser la question. Comme ça, on agit, on a bonne
conscience, on n’a pas interrogé l’objet, on n’a pas interrogé notre intention,
donc on a bonne conscience. Mais le Seigneur nous appelle à plus : « Si vous ne vous convertissez pas, vous
périrez tous de même. » Alors, on se tourne vers le Seigneur, parce
qu’on ne porte pas de beaux fruits, mais, de fait, un homme normal, quand un
arbre ne porte pas de fruit, eh bien, il le fait couper. Et c’est là que le
Seigneur vient et nous rassure : « Je suis là près de toi, et c’est Moi qui travaille ton cœur. Je suis ton jardinier, je vais prendre le
temps pour que tu grandisses, pour que tu accueilles mon amour, pour que tu
débordes de cet amour, que tu portes vraiment du fruit, que tu poses des actes
qui soient réellement bons, aussi bien en objet qu’en intention ».
Voilà, écoutons le Seigneur, Il nous appelle. Il nous appelle. C’est bien la question que je vais poser à Paul dans quelques instants. Je vais lui demander ce qu’il choisit. Choisit-il de renoncer à Satan, de renoncer au Mal, à tous ses objets mauvais, à toutes ses intentions mauvaises ? Choisit-il d’adhérer au Christ, d’adhérer au Bien, à ce qui fait grandir le monde dans l‘amour ? Je vais lui poser à lui, mais en fait c’est à chacun de nous que la question est posée. Question qu’il faut nous remettre en mémoire, régulièrement, souvent. Peut-être que, lors de la prière du matin, j’ouvre les yeux, je fais le signe de la Croix, et puis là, je peux me dire « Seigneur que cette journée soit pour Toi, et aujourd’hui je vais poser tel acte pour telle personne ». Ça, c’est une belle résolution de Carême. Chaque matin, faire le signe de la Croix, se mettre sous le regard de Dieu, et lui dire « Tiens, aujourd’hui, je vais faire cette bonne action, je vais choisir le bon objet avec la bonne intention pour faire grandir l’amour, ici et maintenant. »