Par le père Dino Gbebe

Comment, honnêtement, ne pas éprouver une sensation de dépassement devant un récit aussi palpitant, où l’ineffable fait brusquement irruption dans le quotidien ? Sur cette montagne où le ciel et la terre se sont touchés, tout est enveloppé d’une douce lumière, celle qui brille sur le visage fulgurant du Christ.

Au centre du récit de la transfiguration se trouvent Jésus et trois de ses disciples : Pierre, Jacques et Jean, ceux-là mêmes qui furent témoins de la résurrection de la fille de Jaïre et plus tard se retrouveront à ses côtés, à l’heure de l’agonie. En les associant ainsi aux moments forts de son ministère, Jésus les prépare à devenir les piliers de son Eglise. Mais la liste des intervenants ne s’arrête pas aux disciples. Il y a également Moïse et Elie, ces grands personnages de l’Ancien Testament qui représentent la loi et les Prophètes. On se rappelle les rencontres de Moïse avec Yahvé, dont la proximité faisait rayonner le visage de l’homme de Dieu à Elie sur le mont Horeb. A présent, celui qui a dit « l’homme ne peut me voir et vivre » révèle sa gloire sur le visage de son Fils. Le dernier personnage qui intervient dans ce décor particulier c’est le Père lui-même, dont la présence est soulignée par la nuée et la voix céleste.

De manière unanime, les évangiles affirment que l’épisode de la transfiguration est encadré par deux annonces de la passion. Il représente incontestablement un tournant décisif dans le ministère de Jésus. En effet, après avoir consacré la première partie de sa prédication aux foules, Jésus limite, à présent, son activité à la formation des disciples. D’autre part, les textes font noter qu’il prend résolument la route de Jérusalem où l’attend le drame de la passion. Dans ce cadre chronologique global de la transfiguration, Saint Luc situe l’événement dans un contexte plus particulier : celui de la prière.

C’est au terme d’une nuit d’intimité avec le Père que le rayonnement se produit. Le message ne laisse aucun doute : c’est la prière qui transfigure.

Les Evangiles précisent également que la transfiguration s’est produite sur une montagne que la tradition identifie au Thabor, un petit mont qui domine la vallée de l’Esdrelon, non loin de Nazareth. Certains spécialistes parlent plutôt de l’Hermon, un haut massif neigeux de plus 2700 mètres, qui se dresse dans la région de Césarée de Philippe, où  Pierre a fait sa profession de foi. A ce détail géographique est attaché une interprétation théologique, la montagne étant le lieu par excellence de la rencontre avec Dieu. C’est au Sinaï, en effet que Dieu a confié à Moïse les Tables de la Loi : c’est également sur le mont Horeb qu’il a rencontré Elie. Pour voir Dieu, semble nous dire St Luc, il faut prendre de la hauteur.

Pour décrire l’événement de la transfiguration, les Evangiles font appel à tous les sens : une gloire soudaine brille sur le visage du Christ,  qui resplendit d’un éclat extraordinaire tandis que ses vêtements sont étincelants de blancheur. Dans ce décor fulgurant, Moïse et  Elie font leur apparition ; une nuée les recouvre et enfin une voix se fait entendre : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, écoutez-le ».

C’est le sommet de la révélation, tout est dit, et pour toujours. La béatitude de Pierre et de ses compagnons est telle qu’ils voudraient immortaliser l’événement. Mais bientôt l’enchantement se dissipe : il ne reste plus que Jésus et ses disciples sur la montagne redevenue silencieuse.

L’épisode lumineux de la transfiguration représente un moment capital dans la marche de Jésus vers Jérusalem. Après l’émoi suscité par l’annonce de la passion, cet événement constitue une anticipation de la gloire de ressuscité. Pour prémunir les disciples contre le scandale de la croix, Jésus leur montre, en une furtive révélation, la splendeur qui rayonnera sur sa face au matin de Pâques. La transfiguration c’est donc la lumière du Thabor qui éclaire le Golgotha, la gloire qui rayonne de la croix. Que le Seigneur nous accorde cette grâce de percevoir, à travers le drame de la souffrance, la lumière réconfortante de la Pâques.