Homélie du 8e dimanche du TO, Année C, 3 mars 2019
Par l’abbé Gaël de Breuvand
Il s’agit de la transcription d’une prédication orale. Les titres sont ajoutés après transcription.
I – Ô mort, où est ta victoire ? Ô mort, où est-il ton aiguillon ?
« Ô mort, où est ta victoire ? Ô
mort, où est-il ton aiguillon ? » Quand saint Paul écrit cela,
c’est un cri de victoire. Il vient de nous enseigner, (lors des deux dimanches
précédents), que le Christ, par sa résurrection, nous entraînait dans la vie,
et que la mort est vaincue ! Alors, c’est une bonne nouvelle. Oui, la mort
est vaincue.
Mais qu’est-ce que cette mort dont il nous parle ? Qu’est-ce que la
mort ?
Si on est dans une démarche de foi, une démarche d’espérance, on aura un propos
peut-être un peu lénifiant, presqu’un peu mou. On va dire : ‘la mort c’est le passage avant d’entrer dans
une vie nouvelle’. Alors c’est vrai, mais ce n’est pas tout à fait comme
cela qu’on l’expérimente.
Notre expérimentation de la mort, c’est d’abord et avant tout une rupture, un
déchirement, un arrachement. On n’aime pas mourir. C’est plutôt bon signe, car
nous ne sommes pas faits pour cela, on n’est pas fait pour mourir. La mort c’est la séparation, la division
par excellence. Puisqu’on sépare l’âme du corps. L’âme, ce principe de vie,
qui n’a de sens que quand elle a un corps avec elle. Et puis le corps, qui ne
trouve son ordre et son organisation que s’il y a une âme avec lui. De fait, à
l’instant même de la mort, le moment où l’âme quitte le corps, celui-ci
commence à se dégrader. L’âme n’est pas encore tout à fait dans la joie et le
bonheur parfait, car il lui manque un corps. Nous sommes des êtres humains, Uns
de corps et d’âme, et lorsqu’il nous en manque un morceau, ce n’est pas tout à
fait satisfaisant. L’âme, c’est ce qui tient notre corps unifié. Je ne suis pas
simplement un doigt, plus un doigt, plus un bras, plus etc… Non, je suis Moi,
Un. Et la mort, c’est ce qui s’oppose à cette unité : elle nous divise.
Et savez-vous quel est le nom du diviseur ? C’est le diabole, c’est le
diable, diabolon en grec, celui qui sépare,
divise. C’est l’aiguillon de la mort dont nous parle saint Paul. Qu’est ce qui provoque la mort, qu’est ce qui
conduit à la mort ? C’est le péché. L’aiguillon de la mort, c’est le
péché. Et on l’avait déjà vu à l’époque d’Adam et Ève, dans l‘ordre de de la
Création. Dieu leur a donné une parole de confiance : ‘vous aurez en charge le jardin, vous pourrez
manger de tous les fruits, sauf de celui-là’. C’est un acte de confiance,
c’est une relation qui s’établit ; mais l’homme choisit de n’en faire qu’à
sa tête. Il mange le fruit, et quand Dieu arrive et pose la question dans le
jardin : « Homme où es-tu ? »,
l’homme lui répond « Je me suis
caché car j’ai eu peur » : division entre Dieu et l’homme.
« Tu as eu peur ? Aurais-tu
mangé du fruit que je t’avais dit de ne pas manger ? », « C’est pas moi, c’est Ève ! » :
division entre l’homme et la femme, entre les hommes. Et, ‘dorénavant, tu auras à travailler la terre à la sueur de ton front, et
le sol ne donnera pas facilement’ : division entre l‘homme et la Création.
II – Le Christ, celui qui nous unifie
Et de fait,
la mort c’est ça : c’est une division, et ce n’est pas le projet de Dieu.
Dieu nous veut unifiés, Il nous veut un, Il nous veut entier, de telle sorte
que nous puissions nous présenter devant Lui, pour Le louer, L’honorer, L’adorer,
Le servir, que nous puissions tous être Un. Alors Il nous envoie son Fils, le
Christ, qui va nous enseigner et nous appelle à grandir en unité. Unité
personnelle, être cohérent avec soi-même : que mes actes correspondent à
ce que je pense. Que ce que je pense corresponde à mes actes : être Un. Ce
que dit la bouche, c’est ce qui déborde du cœur. Il faut que ce que je dise
soit bon, il faut que ce que je fasse soit bon. Et pour cela il faut que mon
cœur soit bon, que ce soit cohérent. Et puis Jésus nous montre le chemin de l’unification, de l’unité personnelle,
et cela passe par la souffrance et par
la mort. C’est étonnant : Il a vaincu la mort en la vivant, parce que
Son amour, Son être même est plus fort que la mort. Dans son être même il va
nous réconcilier avec nous-mêmes, et puis entre nous, et avec la Création toute
entière. Nous sommes donc invités à nous laisser sauver. C’est ce qu’il nous
demande ; « le disciple n’est
pas au-dessus du maître. Mais, une fois bien formé, chacun sera comme son
maître » – être formé par notre maître, le Christ, c’est être peu à
peu poli, configuré comme on dit techniquement – nous nous mettons à lui
ressembler. Alors, accueillons le Christ dans nos vies, pour nous laisser configurer
à Lui, que nous lui ressemblions de plus en plus.
La Bienheureuse Élisabeth de la Trinité le dit : ‘que nous soyons, chacun, d’autres Christ. Comme une nouvelle
incarnation de Dieu dans notre monde’. C’est du haut niveau ! On
pourrait se dire que ce n’est pas possible. Mais, rassurons-nous, le Christ est
avec nous pour nous unifier, nous sanctifier, pour nous configurer à Lui.
III – unité de vie, condition de la paix
Cet appel du
Christ, cet appel de saint Paul, cet appel de Dieu qui veut que nous soyons
unifiés, il trouve un écho dans la prière d’ouverture de la messe :
l’oraison. [Souvent, lorsque j’étais à votre place, je
l’entendais et puis j’avais naturellement une nette tendance à l’oublier dans
les 40 secondes qui suivaient].
C’est pourquoi je la redis : « Seigneur,
fais que les événements du monde se déroulent dans la paix, selon ton dessein,
et que Ton peuple connaisse la joie de Te servir sans inquiétude. »
Oui, parce qu’être unifié, c’est être à notre place. Être unifié, c’est quand
les choses sont dans l’ordre. Et, vous le savez, la paix, c’est un fruit de
l’ordre, c’est un fruit de l’harmonie. Et quand tout est à sa place, alors il y
a la paix. Celle-ci disparaît, lorsque nous ne sommes pas à notre place. Le premier
signe de guerre qui apparaît dans la Bible, c’est l’histoire de Caïn et Abel.
Et, de fait, Caïn n’agit pas dans l’ordre. Il n’est pas en harmonie, ni avec
Dieu, ni avec son frère. Et c’est la mort qui entre dans le monde, encore une
fois. Alors, nous prions le Seigneur : « Fais que les événements du monde, Seigneur, se déroulent dans la paix
selon ton dessein ». Nous savons que Dieu veut, pour nous et toute sa
Création, la paix. Mais, lorsqu’on le demande cela, est-ce que nous le croyons
vraiment ? Les Chrétiens, depuis près de 2000 ans, demandent la paix dans ces
événements du monde. Cela n’a pas l’air de marcher…
Alors, est-ce qu’on le dit avec notre bouche et l’on n’y croit pas ? Cela
pose un problème : on sent bien que ce n’est pas juste. Ou alors, on sent
bien que l’on n’a pas compris… « Fais,
Seigneur, que les événements du monde se déroulent dans la paix selon ton
dessein. » C’est le projet de Dieu. Mais Dieu n’agit pas sans
moi, n’agit pas sans nous. Et peut-être qu’il faut que je décide, de tout mon cœur, d’être unifié, d’être sanctifié, d’être un
saint ! Parce qu’alors la paix sera dans mon cœur, et je pourrai établir
la paix dans mes relations avec ceux qui sont autour de moi. Et l’on pourrait espérer
que cela soit contagieux. Oui, « Seigneur, fais
que les événements du monde se déroulent dans la paix », et je sais
que je suis partie prenante de cela. La suite de la prière nous donne le moyen.
« Que ton peuple » – nous tous, qui avons choisi de suivre le Christ,
nous tous qui avons choisi d’être collaborateurs du dessein de Dieu – que « ton peuple connaisse la joie de Te
servir sans inquiétude ». Parce que nous sommes faits pour être dans
une relation sereine avec notre Dieu, en écoutant Sa Parole, en Le servant, en
L’aimant. En fait, servir Dieu, cela veut dire écouter sa Parole et en
particulier ce premier commandement – vous le connaissez tous par cœur – « Écoute, Israël, le Seigneur ton Dieu
est l’unique Seigneur, tu L’aimeras de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout
ton esprit. Tu aimeras ton prochain comme toi-même. »
C’est le plus grand des commandements. C’est la condition de la paix, et c’est cela que nous demandons à Dieu. « Seigneur, fais que les événements du monde se déroulent dans la paix » et en le demandant nous savons que nous sommes partie prenante de ce projet de Dieu. Oui, la mort a été engloutie dans la victoire, et nous pouvons reprendre, avec saint Paul, ce cri de victoire. Et choisissons encore aujourd’hui et nous le re-choisirons demain et encore après-demain – d’autant que c’est l’entrée en Carême, donc c’est le bon moment – nous choisirons d’être collaborateurs de l’œuvre du Christ dans notre monde. Être pleinement héritiers du don de Dieu de laisser l’Esprit agir en nous.