Homélie du 7e
dimanche du TO, Année C, 24 février 2019
Par l’abbé Gaël de Breuvand
Il s’agit de la transcription d’une prédication orale. Les titres sont ajoutés
après transcription.
Il y a des lectures plus faciles que d’autres… et celles-ci font partie des dimanches un peu difficiles !
I – David épargne Saül !
On a entendu cette première lecture, un épisode entre Saül et David. Et il se trouve que Saül risque sa vie entre les mains de David… Il n’a pas fait exprès ! Cela fait quelques années déjà que David est devenu célèbre grâce à son combat contre Goliath, et Saül en a eu une certaine jalousie. Jalousie qui va jusqu’à tenter de tuer David. Donc David s’enfuit avec une bande d’amis. Il se réfugie dans le désert de Zif. Mais cela ne suffit pas à Saül, qui veut éliminer David. Et voilà que Saül est entre les mains de David. Alors qu’ils dorment, David peut entrer dans le camp.
Donc David se trouve face à son pire ennemi. Celui qui veut sa vie. Et pourtant, il fait un choix : celui de ne pas le tuer, de ne pas l’éliminer. Au grand étonnement d’ailleurs d’Abishaï, son adjoint. Et lorsqu’on lui demande : “Pourquoi ?” David répond : “Aujourd’hui le Seigneur t’avait livré entre mes mains, mais je n’ai pas voulu porter la main sur le messie du Seigneur”. Vous savez, un messie, c’est un choisi, un oint, celui qui a reçu l’huile, celui qui a reçu l’onction, c’est donc le roi. Et David sait que celui qui est choisi par Dieu est sacré. Il a raison de le penser. Il a fallu trouver une bonne raison pour ne pas laisser place à sa colère ou à sa violence. Il a choisi, à son niveau, de vouloir le bien de Saül.
II – Le souffle de Dieu donné, et vivre du souffle de Dieu
Dans la deuxième lecture, c’est la Lettre de saint Paul aux Corinthiens… Cela fait déjà plusieurs semaines qu’on avance dans cette lettre. Et la semaine dernière, saint Paul nous parlait de la résurrection. C’est la grande question des Corinthiens : “Est-ce que l’on va vraiment ressusciter ?” Et donc saint Paul, la semaine dernière, disait : “oui ! Puisque Jésus est ressuscité, eh bien nous ressusciterons ! Et si jamais nous pensions que Jésus n’est pas ressuscité, eh bien notre foi est vaine, parce que c’est la preuve qu’Il est vraiment le Fils de Dieu”. Saint Paul nous parle de ce premier Adam, le premier homme, qui est devenu un être vivant. Dieu a modelé l’argile et y a insufflé… y a mis son souffle. Le souffle de Dieu est dans Adam. Finalement, le projet de Dieu, pour Adam, c’est de lui donner sa vie. Et qu’est-ce qui se passe ? Vous le savez, peu de temps après, Adam choisit de ne pas en faire cas. De couper la relation qui existe entre lui et Dieu, et du coup cela va abîmer la relation qui existe entre l’homme et la femme. Cela abîme la relation entre l’homme et toute la Création.
Ce souffle de Dieu qui est donné à Adam ne nous est pas enlevé pour autant. Ce qui est donné à Adam, c’est donné à chacun de nous. Mais c’est un appel, c’est une vocation… En fait, Dieu nous dit : “Quand je t’ai formé, je voulais te donner ma vie. Et toi ? Vas-tu l’accepter ?” C’est difficile d’accepter la vie de Dieu en nous. On se referme vite sur nous-mêmes. Et Il va falloir que s’accomplisse la promesse de Dieu, la vocation de l’homme en Jésus. En fait, l’homme par excellence, c’est Jésus. C’est pour cela qu’on l’appelle le Premier-né. Le dernier Adam. Dernier Adam et Premier-né, parce qu’Il est le premier à vivre pleinement de la vie de Dieu. On le sait : on l’a vu lors du baptême. L’Esprit Saint repose sur Lui. Il est absolument, entièrement, le temple de Dieu, Jésus. Bah, Il est Dieu ! Donc Dieu est en Lui…
Toute la Trinité est en Lui. Le Père aime le Fils. Cela veut dire qu’Il se donne à Son Fils. Le Fils aime le Père. Il se donne au Père ; L’Esprit Saint, c’est le cadeau que le Père fait au Fils. Il est donc rempli du souffle de Dieu, Jésus : Il est rempli de l’Esprit Saint.
Et nous ? On est bien des Adam. Des Adam comme le premier Adam. Avec cet appel, en nous, à être comme Jésus rempli de l’Esprit Saint. Et Jésus nous donne la possibilité de l’être. Nous avons tous, baptisés ou non baptisés, nous avons le potentiel, nous avons la capacité d’être véritablement les temples de Dieu. Et nous avons à accueillir le cadeau qu’Il nous fait, parce que, Jésus, en venant vivre au milieu de nous, Jésus, en vivant, en souffrant, en mourant, en ressuscitant, nous donne la capacité de vivre comme Lui. Et c’est bien pour cela que l’on nous appelle “chrétiens”. Nous sommes d’autres Christ.
III – Vivre de la parole du Christ
Alors il nous faut accueillir le don de Dieu. Alors comment l’accueillir ? Car le dire, c’est bien ! Mais il faut le mettre en œuvre. Et c’est là que l’on a ce discours de la plaine, qui est dans l’évangile de saint Luc, au chapitre 6, que l’on a commencé la semaine dernière. Il a appelé ses disciples. Il est descendu de la montagne, et là, devant la grande foule des disciples et des gens qui le suivaient de partout, même de terre païenne, Jésus enseigne : “Heureux… Quel malheur pour vous…” Et aujourd’hui, Il continue son discours : “Aimez vos ennemis !” Cela nous paraît complètement paradoxal. Aimer son ennemi… celui que je n’aime pas, il faut que je l’aime ? Peut-être que la définition de l’ennemi est à revoir. Celui qui est mon ennemi est d’abord celui qui me veut du mal. Et moi, je suis invité à lui vouloir du bien. Et plus qu’à le vouloir, à poser des actes concrets, réels ! “Je veux son bien !” Et d’ailleurs, le meilleur bien qui soit, c’est la vie de Dieu en lui. Alors il nous faut aimer, pas “même” son ennemi, mais “surtout” notre ennemi. Parce que c’est facile d’aimer son ami. Celui qui nous attire, avec lequel on a un lien, des atomes crochus, immédiats et faciles… C’est relativement facile. Ce qui ne nous empêche pas de le blesser quand même. Du coup, face à cet appel de Jésus, qui nous dit, au début de son discours, – donc c’est un peu le niveau de base ! -, Il nous dit : “Si on veut commencer à accomplir le plan de Dieu, eh bien il faut cela pour commencer : aimer vos amis”. Et puis cela ira un peu plus loin… On l’a entendu dans le verset de l’Alleluia : “Je vous donne un commandement nouveau, dit le Seigneur. Aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimés”. C’est même aller un peu plus loin qu’aimer simplement son ennemi. Parce qu’aimer son ennemi, c’est vouloir son bien, mais du coup, je peux ne pas rester trop près de lui. Peut-être que parfois, j’ai intérêt à ne pas rester trop près de lui… Mais Jésus, Lui, nous appelle à aller encore un peu plus loin : “ Aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimés” Et Jésus nous aime… quand Il est sur la Croix, il demande au Père : “Pardonne-leur, donne-leur la vie… Pour ceux-là qui sont en train de me torturer”. Mais tout cela, c’est un peu après… Il va falloir aux disciples l’évènement de la Pentecôte pour comprendre cela.
IV – Aimer l’ennemi, l’exemple de Thérèse
Alors comment aimer “même” son ennemi ? Comment aimer “surtout” son ennemi ? Celui pour lequel on n’a aucun atome crochu…
Première piste, c’est sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus qui nous la donne. Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, dans sa méditation, elle fait presque un peu mièvre, c’est tout mignon et tout doux, sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus… En réalité, quand on la lit, c’est un petit peu plus compliqué que cela. Un peu plus costaud que cela. Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus nous invite d’abord à reconnaître ce que nous sommes. À faire cet acte d’humilité. Et sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus est docteur de l’Église. Donc a priori, ce qu’elle nous dit, c’est du bon ! Faire un acte d’humilité et dire : “Moi, peut-être que je suis capable du pire. Peut-être même que je le fais Mais si je ne le fais pas, ce n’est pas grâce à moi. C’est déjà un cadeau de Dieu. Si je ne suis pas voleur, menteur… C’est peut-être parce que j’ai eu la chance de naître dans une famille unie, parce que j’ai eu une éducation, parce que je ne suis pas dans la misère, je ne suis pas né au milieu de la guerre… Et cela, c’est déjà un cadeau de Dieu, pour moi ! ” Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus disait qu’elle aurait pu être le plus grand criminel du monde, mais que Dieu, par Sa grâce, par Son amour, par Sa prévenance ne l’avait pas voulu. Au contraire, Il lui a donné un cadeau tout particulier.
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, lorsqu’en 1886, au jour de Noël, elle se convertit, la première chose qu’elle fait le jour de sa conversion, c’est de prier pour Pranzini. Pranzini, c’est un meurtrier, qui avait tué une famille. Et qui doit mourir sur l’échafaud, et tout le monde sait que Pranzini n’a aucun regret… Vraiment, il ne veut pas entendre parler de Dieu. Et Thérèse va prier pour Pranzini, alors que tout le monde pense que c’est une raclure et que cela ne vaut pas le coup de prier pour lui. C’est l’ennemi public numéro 1 ! C’est l’ennemi ! Et finalement, seule Thérèse, qui à l’époque a 14 ans, va prier pour Pranzini. Et Pranzini, il va monter sur l’échafaud, et au dernier instant, – à l’époque, il y avait toujours un prêtre à côté de l’échafaud -, au dernier instant, il fait un pas, il s’approche de l’aumônier, il prend la Croix et embrasse la Croix. Il n’y a rien eu d’autre comme geste de Pranzini. Mais c’était suffisant pour Thérèse, pour qu’elle comprenne que oui, effectivement, elle a eu raison de prier pour lui. Elle a gagné la conversion de Pranzini…
Alors elle a su, concrètement, par un acte de prière, – et un acte de prière, cela veut dire prendre du temps, – prier pour Pranzini et obtenir par-là son Salut. Parce que nous pouvons nous aider les uns les autres dans notre chemin vers le ciel. Il a accueilli le pardon de Dieu. Il a accueilli la vie de Dieu en lui.
Alors ne comptons pas forcément sur des sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus autour de nous pour le Salut… Commençons par essayer de ne pas faire comme Pranzini. Mais remercions le Seigneur de la grâce qu’Il nous fait. Si je ne suis pas le plus grand criminel du monde, c’est déjà grâce à Dieu. Si je regarde un peu au fond de mon cœur, peut-être que oui : en fait, je serais capable du pire…
V – Aimer l’ennemi, se mettre en prière
C’était la première piste. Puis la deuxième, c’est de se mettre vraiment à l’écoute de la Parole de Dieu. Et la Parole de Dieu, c’est Jésus Lui-même. Donc se poser près de Lui, devant Lui, à son écoute. Mettre le Christ en premier dans sa vie. Parce qu’Il nous propose la vraie joie, le vrai bonheur ! Il nous propose d’aimer. C’est difficile, oui ! Mais on ne va pouvoir aimer en vérité qu’en se mettant à son école. Qu’en l’accompagnant sur tous les chemins de sa vie, qui passent par la Croix. Et c’est en passant par la Croix que l’on trouve la Résurrection. La Croix, non pas une forme de masochisme. Non. Mais un moyen d’aimer, là où nous sommes, dans les circonstances où nous sommes. Même si c’est dur !
Alors du coup, pour cela, il faut profiter des moments où ça va bien. Et déjà, mettre en place de bonnes habitudes. Peut-on passer une journée sans prendre un peu de temps avec le Christ. S’arrêter, se poser et prendre un temps de prière. Dire à Jésus : “Je te regarde, et Tu me regardes”, comme ce paysan d’Ars. Et puis je peux m’appuyer sur un petit Évangile. Comment est-ce que je peux passer une semaine sans prendre le temps de recevoir un sacrement ? Vivre la messe le dimanche…
Et tout cela, ce cadeau que Dieu nous fait, c’est pour nous permettre d’aimer. Finalement de vouloir, vraiment, le bien de celui qui me veut du mal. “Souhaitez du bien à ceux qui vous maudissent, prier pour ceux qui vous calomnient. Ne vous défendez pas… Au contraire !” Ce n’est pas du tout naturel. Effectivement, c’est surnaturel ! C’est au-delà de ce que nous pouvons par nos propres forces, mais c’est possible, avec la grâce de Dieu. Et cette grâce, Dieu nous la donne ! Cette force, Dieu nous la donne. À nous de l’accueillir.
Aimer, c’est bien le chemin du bonheur. Et c’est la réponse à la vocation que Dieu nous fait, en nous insufflant Sa vie. Ce souffle de Dieu qu’il y a en nous, nous sommes invités à le laisser croître. À dire à Dieu : “viens ! Viens habiter chez moi ! Que je sois ton Temple ! Que je sois Ta tente !” Et alors, oui, on pourra être en vérité… “Miséricordieux, comme Votre Père est miséricordieux”. Ça paraît énorme, parce que Dieu est paix et miséricorde. Il est miséricorde. Sa manière d’être en relation avec nous, c’est de nous aimer. Miséricorde. Alors Jésus nous rassure en même temps. Il nous dit concrètement : “Des petits actes concrets ! Ne jugez pas. Ne condamnez pas. Pardonnez. Donnez. Donnez…” Donner et aimer, c’est souvent synonyme. Et c’est ainsi que nous accomplissons notre vocation, notre appel. C’est ainsi que nous ressemblons au Christ, que nous ressemblons à Dieu lui-même.