Homélie du 6e dimanche de Temps ordinaire, année C – Par l’abbé Gaël de Breuvand – ceci est la retranscription d’une prédication orale, les titres sont ajoutés après transcription
I – Les deux voies
La première lecture du livre de Jérémie et le psaume rendent compte d’une théologie que l’on appelle la théologie des deux voies, des deux chemins. Et on le trouve également dans le Livre du Deutéronome – un des livres de la Torah (du Pentateuque) – où Dieu parle et nous dit « Vois. Je mets aujourd’hui, devant toi, ou bien la vie et le bonheur, ou bien la mort et le malheur. Choisis la Vie. » C’est ce que nous invitent à faire Jérémie et le psaume. Et quel est le chemin du bonheur ? « Béni soit l’homme qui met sa Foi dans le Seigneur. » « Heureux l’homme qui murmure la Loi du Seigneur jour et nuit ». « Heureux celui qui se met à l’écoute de la Parole de Dieu. » Et c’est là que l’on comprend le sens du mot « commandement » : un commandement, c’est le chemin vers la joie et le bonheur. Le chemin vers la Vie. « Écoute, Israël, le Seigneur ton Dieu est l’unique seigneur. Tu L’aimeras de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit et de toute ta force. Et tu aimeras ton prochain comme toi-même. » Vous connaissez ce commandement, c’est la Parole de Dieu et c’est bien le chemin de la Vie et de la Joie. Et lorsque l‘on choisit de se mettre résolument sur ce chemin, on va porter du fruit, tel un arbre planté au bord d’un ruisseau.
Et Jésus s’inscrit dans cette théologie des deux voies. Dans l’évangile selon saint Matthieu, huit béatitudes, et même neuf, nous sont proposées, et l’on n’a que les béatitudes, du coup elles sont à peu près ici. Mais, dans l’évangile selon saint Luc, on nous propose quatre béatitudes et quatre ‘malédictions’, comme on a coutume de le dire. En réalité, c’est un constat, un constat de tristesse. Jésus est triste : quel malheur pour vous les riches ! « Heureux », quatre fois : heureux vous les pauvres, heureux vous qui avez faim, heureux vous qui pleurez, heureux quand vous êtes persécutés ! On a parfois – c’est une critique que l’on fait au christianisme, comme Nietzsche entre autres, mais pas seulement – coutume de dire « oui mais, en fait, ce que nous propose Jésus c’est une morale de la résignation » : Si vous êtes pauvres aujourd’hui, ne vous inquiétez pas cela ira mieux après, mais surtout je ne fais rien pour vous. Si vous êtes pauvres, si vous souffrez, si vous êtes malades, ça ira mieux après. Résignez-vous, la promesse viendra.
Alors, est-ce que c’est cela que nous propose Jésus ?
II – La quête du bonheur, par le Christ
Peut-être que l’on se réfugie dans cette morale de la résignation car, pour moi… je me sens un peu en danger… « Heureux, les pauvres » ! Est-ce que moi je suis pauvre ? Je ne manque de rien, je n’ai jamais faim, mes souffrances et les tristesses que j’affronte sont supportables, je suis rarement persécuté pour ma foi. Du coup, je risque de me retrouver dans la seconde catégorie : quel malheur pour vous. Du coup, il est peut-être plus facile de se dire : « oui mais le Seigneur nous demande de nous satisfaire de notre sort. » Et bien évidemment ce n’est pas ça que nous propose le Christ. Il nous invite à faire un pas de plus. En fait, vous le savez, instinctivement, au plus intime de nous-mêmes est inscrite la quête du bonheur. Je ne connais personne qui dise : « Moi, mon projet de vie est d’être malheureux », « je veux souffrir », non plus. Pour moi, ce n’est pas le cas, pour vous je ne sais pas… Non. Nous avons tous inscrit au fond de nous une quête du bonheur, une quête de la vie, une quête de la joie. Mais instinctivement, nous nous satisfaisons d’un bonheur… minimal. Le bonheur c’est d’avoir le ventre plein, de dormir sous un toit et de ne pas avoir trop froid. Mais, le Christ nous invite à plus, à une joie qui dure et dépasse ce simple confort matériel. C’est un tout petit bonheur que nous avons dans le cœur instinctivement, et Jésus nous invite à un maximum. « Davantage », c’était la phrase de saint Vincent de Paul : « Qu’est-ce qui nous faut faire maintenant ? Davantage. » Car nous pouvons plus, nous sommes faits pour plus, pour une joie et un bonheur absolus.
Alors comment faire ? Oui, comme nous le disait déjà l’Ancien testament, il faut nous mettre à l‘écoute de la Parole de Dieu qui s’est incarnée. Et cette Parole, c’est Jésus. Et il nous faut passer par Lui : comme un disciple, derrière Lui, par Lui. Il est notre maître, notre enseignant. Il nous faut être avec Lui, car Il fait de nous Ses amis et nous pouvons avancer côte à côte. Et il nous faut être en Lui, comme membre de son corps, partie prenante de son projet : par Lui, avec Lui et en Lui. Et vous reconnaissez-là cette grande doxologie, cette action de grâce, cette façon de rendre gloire à Dieu, qui est à la fin de la prière eucharistique, et qui est finalement le sommet de la messe. Le Christ nous invite par Lui, avec Lui et en Lui, à faire ce pour quoi nous sommes faits : rendre tout honneur et toute gloire au Père. Rendre tout honneur et toute gloire au Père par Lui, par Jésus, avec Jésus, en Jésus. Nous voulons nous mettre sur son chemin, car c’est son chemin qui est celui de la vie et du bonheur. Et cela passe par Sa Passion, Sa Mort sur la Croix. C’est rude ; peut-être que cela ne nous donne pas tellement envie. Et pourtant, c’est la condition nécessaire pour entrer dans la résurrection, dans la vraie Vie.
Alors, à la différence de la morale de la résignation – contentez-vous de votre sort, qui est toujours l’autorité qui dit cela aux pauvres – c’est moi qui suis invité à faire un pas, à choisir la pauvreté, la faim, les pleurs ou en tout cas non pas comme un masochiste – on n’est pas invité à être masochiste, ni à se martyriser soi-même – mais à les affronter, dans notre vie, en choisissant d’aimer à travers cela. Le chemin de l’amour, de la vie – c’est synonyme – passe par la Croix.
III – Soyons des hosties, offrande au Père
Finalement, c’est le mouvement de la Messe. Dans quelques instants, nous allons vivre l’Offertoire, la présentation des dons, et nous allons présenter du pain. Pour faire ce pain, il a fallu prendre du blé, puis on l’a écrasé sous une pierre, on l’a pétri, on l’a cuit, on en a fait un morceau de pain, et ce pain devient Corps du Christ et est offert au Père. Dans quelques instants, chacun de nous est invité à être ce grain de blé, à se laisser moudre, se laisser pétrir, se laisser cuire par l’amour de Dieu, par l’amour de nos frères, pour être offert au Père et donné aux hommes. Chacun de nous est invité à être une hostie. Oui, c’est cela notre but, car c’est là que nous trouverons notre vraie joie. Tout à l’heure dans la prière eucharistique nous dirons : « Seigneur, fais de nous une éternelle offrande à Ta gloire » c’est cela, car hostie, en latin, signifie offrande. Alors, oui, cela implique un choix entre ce qui me plaît, là, immédiatement, tout de suite, qui m’attire et j’y vois un bien immédiat de confort, cela flatte ma sensibilité, et un choix qui, souvent, ne m’attire pas immédiatement : donner sa vie pour son enfant en se réveillant six fois dans la même nuit et lavant les draps trois fois, cela ne donne pas envie – dit comme ça, cela ne donne pas envie – et puis on pourrait donner les exemples d’actes d’amour, on pourrait les multiplier, ces exemples, ça ne donne pas envie et en même temps on sait que c’est là que nous trouvons la vraie joie.
Alors, entrons dans le projet de Dieu, acceptons de nous laisser pétrir par la tendresse, par l’amour de Dieu. Ce ne sera pas confortable, et d’ailleurs Jésus ne nous promet pas que ce sera confortable, « Réjouissez-vous, tressaillez de joie, quand les gens vous haïssent et vous excluent à cause de mon Nom » . Non, Il ne nous promet pas le confort, Il nous promet la joie.