Par l’abbé Gaël de Breuvand.
Il s’agit de la transcription d’une prédication orale. Les titres sont ajoutés après transcription.
I – Mémorial
Dans les
temps anciens, à l’origine de l’Église, dans l’Orient
chrétien, il n’y avait qu’une seule fête de la manifestation du
Seigneur. Vous savez que c’est le sens du mot « épiphanie » :
« manifestation ». Et, dans cette fête, on fêtait à la
fois la naissance, l’adoration des Mages, le baptême du Seigneur,
et les noces de Cana. C’était donc une fête où toutes les
manifestations du Seigneur étaient célébrées. Et puis, les années
qui passent, et puis le passage en Occident aussi, ont fait que l’on
a souhaité les distinguer (et comme ça on fait la fête pendant un
mois !) : Il s’agissait d’insister sur ce mystère
étonnant : oui, Jésus est vraiment Dieu fait homme. Il est
totalement Dieu, il est pleinement homme. Et il est assez rare qu’on
puisse célébrer toutes les fêtes, parce que cette année – ce
n’est pas tous les ans – on aura pu fêter les noces de Cana le 20
janvier, le baptême du Seigneur le 13, aujourd’hui l‘Épiphanie,
et il y a quinze jours, Noël.
De fait, les antiennes du
Magnificat et du Benedictus de ce jour à l’office des Laudes et
des Vêpres insistent sur cette unité du mystère du Christ. « Nous
honorons un jour marqué par trois prodiges : aujourd’hui,
l’étoile a conduit les Mages à la crèche ; aujourd’hui,
l’eau a été changée en vin au festin nuptial ; aujourd’hui,
le Christ a voulu être baptisé par Jean dans le Jourdain pour notre
Salut ». Ça, c’est ce
que nous chanterons ce soir. Aujourd’hui. Et puis ce matin, aux
laudes, « aujourd’hui,
l’Église s’unit au céleste Époux, car ses péchés sont lavés
par le Christ dans le Jourdain, les Mages accourent aux noces
royales, apportant des présents, et l’eau est changée en vin, et
les convives du festin sont dans la joie ».
En fait, cette fête de Noël, c’est le fiancé qui vient
épouser sa fiancée, et tout est en place pour célébrer ce
mariage, cette union. Et vous savez qui est la fiancée dans
l’histoire…
Le « aujourd’hui » de ces
antiennes : aujourd’hui, l’Église s’unit au céleste
Époux. Ce n’est pas juste une façon de parler, c’est pour nous
faire entrer dans une réalité qu’on appelle « mémorial » :
en hébreu c’est « zikkaron »
et c’est le mot qui a donné le prénom Zacharie. C’est un
souvenir, mais pas seulement un souvenir qui reste dans notre mémoire
et qui n’a plus aucun impact sur notre présent. Non, le
« mémorial » c’est un ‘aujourd’hui’
qui a eu lieu,
et c’est une action d’aujourd’hui justement. Par l’action de
la grâce de Dieu, par la force, l‘amour de Dieu, les événements
que nous célébrons sont rendus présents. Et aujourd’hui, Jésus
nous est présenté comme un petit enfant à la crèche et, avec les
Mages, nous sommes invités à venir et à l’adorer. Le Christ
vient se manifester à nous, et nous avons à recevoir cette
révélation. Aujourd’hui. Et aujourd’hui, nous avons entendu ces
textes qui ont été choisis par l’Église pour l’Épiphanie. Et
il y a deux points que je vais relever.
II – Mission
Le premier, c’est que dans ces textes il y a un appel à la mission. Ce n’est pas forcément ce à quoi l’on pense en premier lorsque l’on pense à l’Épiphanie. On pense à la question des portes ouvertes, mais pas forcément à la mission. Et pourtant, cette première lecture que nous avons entendue, elle commence par cette parole : on la connaît bien, puisque nous l‘avons chantée en chant d’entrée : « Debout, Jérusalem, resplendis ! » Et parfois on fait un faux sens, on se dit que « resplendir » cela veut dire « sois dans la joie ». Non. « Resplendir » cela veut dire « rayonne », « illumine », « attire »… « Resplendis », c’est une injonction que nous donne le prophète pour que nous fassions ce pour quoi nous sommes faits. À l’époque, lorsque Isaïe – nous sommes à la fin du Livre d’Isaïe – prononce ces mots « Debout, Jérusalem, resplendis, elle est venue ta lumière, et la Gloire du Seigneur s’est levée sur toi » : cette parole, elle est donnée au peuple hébreu alors qu’il est rentré d’exil, il est à Jérusalem, ils ont reconstruit le temple, et tout n’est pas rose. Et du coup, les gens se plaignent…. Et le prophète vient rappeler : Attention ce que nous attendions nous a été donné. Resplendissez ! Soyez des lumières pour le monde. Cette parole du prophète, évidemment, elle s’applique à l’époque de Jésus. À l’époque de Jésus, quand on rédige les Évangiles, on est à une période où le temple va être détruit… ou bientôt. Et de fait, la situation n’est pas tout à fait idéale, et cette parole s’adaptait très bien aux disciples du Christ… Debout, disciples du Christ ! Resplendissez, parce que votre Lumière est déjà venue !
Et aujourd’hui, en 2019, alors que la situation ne semble pas très rose, tout n’est pas très ‘folichon’, et bien on entend encore cette parole, et elle s’adresse à nous : « Debout, peuples de Brignais et de Chaponost, resplendissez, votre Lumière est venue, témoignez-en. Témoignez-en« . C’est cela votre vocation, d’être les témoins du mystère de Dieu. Et ce mystère, c’est saint Paul qui nous le dévoile, il nous l’a dit : ce mystère il a été révélé maintenant : c’est que toutes les nations soient associées au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse, par l’annonce de l’Évangile. Alors la question qui vient est : « Qui leur dira ? Qui dévoilera ce mystère au monde ? Qui annoncera l’Évangile ? » Alors dans l’Histoire sainte, vous le savez, il y a deux réactions possibles. Il y a celle de Moïse : quand Dieu l’appelle, il dit Non, mais moi je ne me sens pas très capable, demande plutôt à mon frère, d’ailleurs je bégaie, c’est pas top ». Et Dieu lui dit « non, c’est toi que je veux. » Et puis, il y a l’autre réponse possible, c’est au chapitre 6 d’Isaïe, lorsque Dieu l’appelle, Isaïe répond « Je suis là, me voici, je viens, j’irai leur parler ». Alors, quelle est la bonne réponse ? C’est peut-être d’abord celle du Christ, on l’a entendue, pendant l’Avent, le Christ reprend le Psaume 39 et dit « Tu m‘as façonné un corps, tu as ouvert mes oreilles et je dis : voici, Je viens ». Et nous sommes invités à ce « Je Viens » du Christ, et à répondre chacun à la question « qui le leur dira ? » et bien… « Moi ! » Moi… Peut-être que ça « frotte » un peu, c’est normal, c’est normal… Il s’agit pour nous d’être partie prenante du projet de Dieu, et oui, c’est toujours un peu… ça résiste un peu en nous. Voilà, c’était la première idée, cette idée de la mission de cette fête de l’Épiphanie.
III – le chemin des mages, chemin pour moi, chemin pour tous
En 2e point, nous allons contempler, quelques instants, ce texte de l’Évangile. Vous savez que quand on lit l’Evangile en le méditant, en l’actualisant, ça veut dire que je le prends, je le lis au présent en l’interprétant pour moi, je comprends qu’il me parle de Dieu, qu’il me parle de moi, et qu’il me parle de la relation entre Dieu et moi. Quand je prends ce travail de médiation, d’actualisation, je peux prendre la place de chacun des personnages du récit. Je peux être l’Enfant Jésus, je peux être l‘âne de la crèche, je peux être les Mages, évidemment. Et puis, – alors je ne le souhaite pas trop -, mais je peux aussi être Hérode. Alors aujourd’hui, on va surtout s’intéresser à la démarche des Mages. Les Mages, ils ont vu une étoile étrange, un signe dans le ciel, pas quelque chose de très extraordinaire… Une étoile, qu’est-ce que c’est ? il y en a des milliards… Et pourtant, lorsque cette étoile apparaît, les Mages sont bousculés, ils sont transportés, il faut qu’ils se mettent en route. En fait, cette image, elle vient comme répondre à une sorte de grand creux, un désir, quelque chose. Le cardinal de Lubac parle du désir naturel de surnaturel. En chaque homme, il y a un grand creux qui ne peut être comblé que par Dieu. Mais tant que Dieu ne s’est pas révélé, et bien, on ne le sait pas… Cette étoile, lorsque les Mages la voient, ils sentent que ça va remplir leur cœur, ils ne savent pas exactement ce qu’ils attendent encore, mais ils se mettent en route. C’est le témoignage de saint Augustin : « Tu nous as faits pour Toi, Seigneur, et notre cœur est sans repos tant qu’il ne repose pas en Toi ». Et de fait, tant que personne ne me l’a dit, je ne sais pas forcément que c’est Dieu qui va combler ce vide, ce creux. Et l’étoile les conduit… Et c’est étonnant ; car moi j’ai toujours été scandalisé par le fait que cette étoile s’arrête à Jérusalem. Elle serait arrivée directement à Bethléem, ça aurait été beaucoup plus simple. Et pourtant, c’est une chose importante qu’elle s’arrête à Jérusalem, pour deux raisons.
Tout d’abord cela vient nous signifier que l’on ne peut pas trouver Dieu sans un intermédiaire humain. On a besoin d’aide. Dieu a choisi que nous ayons besoin les uns des autres pour le trouver, Lui, pour avancer jusqu’à Lui. Dieu, habituellement, ne se révèle pas directement dans nos cœurs. Il va nous mettre en route, il va nous donner une Lumière, mais, tôt ou tard, je vais avoir besoin d‘un autre. Les Mages, ils arrivent au Christ en passant par Jérusalem, en passant par une rencontre avec des savants juifs, avec un roi juif. C’est la première raison, nous avons besoin les uns des autres.
La deuxième
raison, c’est qu’on ne peut pas arriver au Christ sans passer par
les Écritures. Par la Parole de Dieu telle qu’elle a été
recueillie par le peuple juif. Celui qui me dit « je
peux trouver Dieu en passant par autre chose, par de la philosophie,
etc. » et bien ça ne
marche pas. Non. On ne trouve Dieu que par la Bible. C’est un
chemin obligé pour nous. C’est Jésus qui le dit à la Samaritaine
au chapitre 4 de l’évangile de saint Jean : « le
Salut vient des juifs ».
Et, quand Il dit cela, ce n’est pas qu’une façon de parler.
Cette parole de Dieu, elle est recueillie, accueillie, vécue par le
peuple juif tout au long de son Histoire. Et c’est nécessaire pour
entrer en relation avec Dieu. Alors les Mages s’arrêtent à
Jérusalem pour pouvoir se mettre à l’écoute de cette parole de
Dieu et ils l’entendent ! Voici ce qui est écrit par le
prophète : « Et toi,
Bethléem, terre de Juda, tu n’es certes pas le dernier car, de
toi, sortira un chef qui sera le berger de mon peuple Israël. »
Le voilà ce texte de la parole de Dieu. Et l‘étoile se remet en
route, ils vont aller jusqu’à Bethléem… Ils le savaient déjà,
la parole de Dieu le leur avait dit… Mais Dieu confirme cette
parole par cette étoile qui continue à avancer et qui s’arrête
au-dessus d’une maison. Et, « à
la vue de l’étoile, ils se réjouirent d’une très
très grande joie ».
Oui, c’est la joie qui doit dominer puisque l’on touche au but.
Nous sommes faits pour rencontrer Dieu face à face et, eux, c’est
bien ce qui leur arrive : ce que leur cœur aime est enfin à
leur portée. C’est la joie de la fiancée qui rencontre le fiancé,
de l’époux et l’épouse, de l’enfant et sa mère ou son père.
« En entrant dans la
maison, ils virent l’Enfant avec Marie, sa mère, et tombant à
genoux, ils se prosternèrent devant Lui. »
Et là, je cite le pape Benoît XVI : « Chers
amis, il ne s’agit pas d’une histoire lointaine, survenue il y a
très longtemps, il s’agit d’une Présence, ici »,
dans cette église, dans l‘Eucharistie qui s’accomplit, « Il
est devant nous, Il est au milieu de nous. »
Ces quelques mots, le pape les a dits lors des JMJ de
Cologne, en 2005, ces JMJ étaient justement sous le signe des Mages.
Et si vous voulez méditer un peu plus cet événement de
l’Épiphanie, vous pouvez revenir sur les deux grandes homélies
qu’il a faites, le samedi soir et le dimanche, à Cologne, pour une
belle méditation sur ce mystère de l’Épiphanie – Dieu qui se
manifeste à nous.
Il se manifeste encore dans quelques instants,
sur cet autel. Il vient se donner pour nous transformer, pour faire
de nous des saints. Et vous savez ce que c’est qu’un saint ?
C’est quelqu’un qui laisse passer la lumière. Quelqu’un qui
peut resplendir ! Alors, si nous tombons à genoux, si nous
l’accueillons dans nos vies, nous pourrons, alors, répondre à
l’injonction, à l’appel du prophète : Peuple de Brignais
et de Chaponost, « debout,
resplendis ! »