Homélie de la fête de la Sainte Famille, année C, 30 décembre 2018
Par l’abbé Gaël de Breuvand
Il s’agit de la transcription d’une prédication orale. Les titres sont ajoutés après transcription
I – La famille ?
Ce dimanche est une bonne occasion de réfléchir à ce qu’est la famille. Quel est le projet de Dieu pour la famille ? Quelle bonne nouvelle l’Église porte pour ses familles ? On pourrait d’abord commencer par une sorte de micro-trottoir, en demandant aux gens dans la rue ce qui est vraiment important… et on a assez vite et dans les premières places du classement, la valeur famille, qui trouve une très bonne place. Oui ! La valeur famille, c’est essentiel, pour beaucoup ! C’est déjà une bonne nouvelle, et en même temps… en même temps… pour beaucoup aussi, la famille, ce n’est pas tout-à-fait l’idéal auquel on pense.
Dans notre culture chrétienne, oui, on a un modèle, un exemple de famille : la Sainte Famille. On en connaît des vitraux ou des peintures du XIXe qui représentent Marie, Joseph, Jésus. Tout ce monde-là est bien sage, bien gentil, bien lisse. D’ailleurs, ça l’est tellement que quand on regarde nos propres familles, cela va nous culpabiliser parce que chez nous, ça marche pas comme ça. Bah en tout cas chez moi, ça ne marche pas comme ça !
De fait, je vais vous donner un secret : quand vous voyez votre famille et que vous vous dites : “chez nous ça marche pas, par contre, chez le voisin, ça a l’air de marcher…”. Eh bien ne vous inquiétez pas, chez le voisin, ça ne marche pas non plus ! En fait, je ne connais personne qui peut dire : “ma famille est idéale !” ça ne marche pas… ça n’existe pas ! On a tous des problèmes… Il n’y en a pas un d’entre nous qui n’a pas connu ce moment de panique intense qu’a connu la vierge Marie et Joseph. “On a perdu notre enfant !” C’est arrivé à tous. Et si ce n’est pas cela qui est arrivé, c’est autre chose, peut-être pire… D’ailleurs dans la Bible, on en trouve des familles, et il n’y en a pas beaucoup qui sont vraiment remarquables. Si elles sont remarquables, c’est plutôt pour les choses qui ne vont pas. Un exemple d’aujourd’hui, c’est dans le livre de Samuel, Elcana… Elcana a deux épouses, – à l’époque, on peut avoir deux épouses -, une qui a beaucoup d’enfants, qui est très féconde, et l’autre qui est stérile, Anne. Et pour consoler sa femme, Elcana ne trouve rien de mieux à dire que : “tu m’as moi ! Est-ce que je ne vaux pas plus que des dizaines d’enfants ?” Je ne sais pas si c’était très efficace pour consoler sa femme… Elle a préféré se confier à Dieu et de fait, Dieu lui a accordé un enfant.
La famille de Jésus, encore comme famille idéale ? Je ne sais pas si pour vous, cela vous fait beaucoup rêver, une famille dans laquelle on est vraiment ami et en même temps, pas d’union conjugale. Ce choix de virginité est tout de même tout-à-fait particulier. C’est une forme de “bancalitude” !
II – Alors… La famille ?
a/ Un foyer
Alors la
famille… Réfléchissons un peu à ce qu’est l’essentiel de la famille. En
premier, l’essentiel de la famille, c’est d’abord un foyer. C’est là le projet
de Dieu ! Vous connaissez le chapitre 1 de la Genèse : « Dieu crée l’humain à son image. À l’image de
Dieu, Il le créa. Homme et femme, mâle et femelle Il le crée ».
L’image de Dieu. Vous savez : Dieu Amour. L’image de Dieu se réalise d’une
manière toute particulière dans l’homme et la femme qui décident de s’engager
l’un envers l’autre, de s’unir. L’image de Dieu, elle se réalise d’une manière
exceptionnelle comme cela. Est-ce que c’est une manière évidente, facile ?
Non. Ce n’est pas tout-à-fait ce qui est dit. Mais c’est une manière
tout-à-fait particulière de réaliser le projet de Dieu. Finalement, quand on
choisit l’engagement mutuel, celui d’un homme et d’une femme, on choisit de
ressembler à Dieu, d’une manière toute particulière. Et comme Dieu, on choisit
d’avoir cette dimension, ces dynamiques de l’Amour de Dieu dans nos vies.
Un amour qui est absolument libre. La liberté… Ce sont ces quatre piliers du
mariage chrétien. C’est la dynamique de l’Amour de Dieu en fait. Un amour
libre, un choix de la volonté, une décision ! “Je veux ta joie et ton bonheur et c’est pour cela que je te donne ma
vie. Et je le fais en connaissance de cause, et librement ! Et chaque
jour, je renouvellerai ce don, cette dimension de la fidélité de l’Amour de
Dieu”. Et nous savons que la fidélité de l’amour de Dieu va loin,
puisqu’elle va même jusqu’à être fidèle quand nous, nous sommes infidèles.
L’amour de Dieu est pour toujours, indissoluble. Et notre amour, l’amour du
foyer est invité à cette indissolubilité-là, à cette pérennité.
Et puis l’amour de Dieu, il est fécond, il donne la vie. Et c’est le fruit de
l’amour d’un homme et d’une femme. Le fruit d’un foyer. Vous remarquerez
d’ailleurs que cette fécondité ne vient qu’en 4e, vraiment comme un
fruit. Il faut que le reste soit posé d’abord. De nos jours, – vous le savez
comme moi -, on a un petit peu tendance à mettre la charrue avant les bœufs et
à vouloir la fécondité avant toute chose. Non. Elle vient en dernier, comme un
couronnement. Cette fécondité à laquelle nous sommes invités, qui est l’image
de celle de Dieu, qui doit être inventive. Nous prions tout particulièrement et
nous gardons tout particulièrement dans nos cœurs les foyers qui ne peuvent pas
vivre cette fécondité humaine de porter des enfants. Mais nous savons que le
Seigneur les appelle à une fécondité particulière, originale. Pour eux, pour
chacun de nous, Dieu a un projet individuel.
Le foyer, c’est tellement l’essentiel que quand une famille a l’impression
d’être un peu bancale, eh bien c’est de cela dont il faut prendre soin en
premier. C’est là l’essentiel, c’est la vie du couple, du foyer. Et c’est quand
la vie du couple va bien, eh bien la vie de la famille ira bien.
C’était le premier essentiel de la famille.
b/ faire grandir et protéger
La deuxième caractéristique de la famille, c’est que c’est le lieu où l’on fait grandir et où l’on protège. Alors déjà au sein du couple. Chacun des deux partenaires est invité à aider l’autre à grandir et à le protéger. Et puis évidemment pour les enfants. Les faire grandir et les protéger. C’est bien ce que cherchent à faire Marie et Joseph. Ils emmènent Jésus. Ils lui apprennent, d’ailleurs, à suivre le culte de Dieu, à se rendre à Jérusalem en pèlerinage. À aller prier le Seigneur. C’est ce que cherchent à faire Elcana et Anne. Anne qui dit : “Non. On ne va pas encore faire pèlerinage avec ce bébé. On va attendre qu’il soit plus grand”. On prend soin d’eux. On veut les faire grandir. On veut leur permettre d’entrer pleinement en relation avec eux-mêmes d’abord, qu’ils puissent découvrir leur propre identité, leur identité d’être aimé et capable d’être aimé, être de relation. On veut déployer leur ouverture aux autres. Et on le voit, même là, quand Jésus est au milieu des docteurs de la Loi, c’est bien que ses parents lui ont enseigné à établir des relations simples avec les autres. Et puis évidemment, la relation à Dieu. C’est cela faire grandir ! Faire grandir, c’est permettre à l’autre d’établir des relations. À lui-même, aux autres, à Dieu. Parce que nous sommes essentiellement des êtres de relation.
c/ séparer
Et puis, une famille, c’est aussi le lieu où l’on apprend à se séparer. C’est cette parole de la Bible au chapitre 2 de la Genèse : “Il quittera son père et sa mère pour épouser sa femme et à eux deux, ils feront une seule chair”. Il faut quitter. Jésus se retourne vers Marie et Joseph en disant : « Pourquoi m’avez-vous cherché ? Ne saviez-vous pas qu’il me faut être chez mon Père ? » Oui. Il y a une rupture qui s’accomplit. Et pour une mère, c’est une mort ! De fait, chacun de nous est invité un peu à mourir à soi-même, à certaines relations… pour pouvoir accomplir en lui le projet de Dieu. C’est aussi le cas pour Anne et Samuel. Car en action de grâce, Anne va confier Samuel au Temple du Seigneur. Elle le laisse en pension, chez le prêtre Elie. Elle accepte cette rupture.
Un foyer. Une famille. L’essentiel. Un foyer. Faire grandir et protéger. Et enfin, séparer.
En conclusion…
Alors nous regardons la Sainte Famille aujourd’hui, cette histoire, qui est celle de Joseph, Marie et Jésus. Et nous voyons en elle, – c’est ce que disait l’oraison -, nous voyons en elle un modèle. Et en même temps, ce n’est pas quelque chose à imiter. C’est étonnant ! Normalement, les modèles on les imite. Non. Parce qu’une famille, il n’y en a pas deux pareilles. Et ce n’est pas dans le projet de Dieu qu’il y en ait deux pareilles. Votre famille, c’est vous qui avez à la construire. C’est vous qui avez à la vivre. Alors ce qui est exemplaire dans la Sainte Famille, c’est peut-être simplement qu’ils mettent Dieu au centre de leur vie. Là, Il y a une vraie ouverture à Dieu. Ils ont décidé que leur famille, – leur foyer d’abord, leur couple ! -, serait un couple à trois : époux, épouse et Dieu. Leur famille… Dieu y serait présent, comme père, comme époux, comme épouse, comme enfant. Et on le sait, dans cette famille-là, à quel point Il était enfant.
L’Église depuis le IVe siècle, – c’est saint Jean Chrysostome qui en parle -, l’Église nous présente la famille comme « l’Église domestique ». L’Église à la maison. Ekklesia, la communauté de ceux qui sont appelés par le Christ, c’est dans la famille, en premier lieu, que l’on établit la relation entre nous et avec Dieu. La « petite Église »… c’est la famille. À la différence de la grande Église, de la paroisse, qui est la famille des familles. C’est intéressant, c’est juste la réciproque du mot de Noël que vous pourrez prendre si vous ne l’avez pas pris… Il est à la sortie. La paroisse, c’est « la famille des familles ». Et la famille, c’est la « petite Église ».
En contemplant la Sainte Famille, nous avons l’occasion de mettre les pieds dans le réel. Et le réel, ce sont nos familles. Et dans nos familles, il nous faut choisir de mettre Dieu en premier. Afin de mettre les autres, les membres de notre famille, notre époux, notre épouse, nos enfants en premier. Ça paraît presque paradoxal, c’est toujours en mettant Dieu en premier qu’on servira d’autant mieux les autres. Et alors, oui, nous serons vraiment dans la maison de Dieu, puisque Dieu sera chez Lui chez nous. Alors pendant ces quelques jours du temps de Noël, profitons-en. Laissons une place à Dieu dans notre famille. Laissons une place au Christ dans notre famille ! Et n’ayons pas d’inquiétude, Il va changer nos vies.