Homélie du 26e dimanche du TO, Année b, 30 septembre 2018
Par l’abbé Gaël de Breuvand
Il s’agit de la transcription d’une prédication orale. Les titres sont ajoutés après transcription.
Lorsque nous ouvrons cette page du livre des Nombres, Moïse est fatigué. Il est fatigué de conduire le peuple vers la Terre promise, obéissant à la Parole de Dieu. Parce que ce peuple a la tête dure. Et le Seigneur rassure Moïse en lui disant : “je vais te donner des aides. Choisis 70 personnes. Je leur donnerai mon Esprit”. Et c’est ce que Dieu fait. Et Il le fait tellement bien qu’il y en a même deux qui n’ont pas répondu à la convocation, et eux aussi reçoivent l’Esprit. Et eux aussi, ils prophétisent ! Et cela scandalise. “ Seigneur, Moïse, il y en a deux qui n’étaient pas avec nous et ils ont reçu l’Esprit. Eux aussi ils prophétisent. Interdis-leur !” Evidemment Moïse les renvoie : “Serais-tu jaloux pour moi ? Il vaut mieux que tous prophétisent”.
Et puis 1200 ans plus tard, cet épisode se reproduit, quasiment mot pour mot. Il y en a qui prophétisent, qui chassent les démons au nom de Jésus et qui ne suivent pas les disciples. “Ils ne nous suivent pas”, dit Jean. Et Jésus rabroue Jean : “Ne les empêchez pas. Celui qui accomplit des signes en mon nom est proche de moi”. Parce que c’est cela le point : ce qui est important, ce n’est pas d’être proches des disciples, mais d’être comme les disciples, proches du Christ.
I – Où est l’Église ?
En fait la question que l’on se pose aujourd’hui, c’est la question de l’Église… Qu’est-ce que l’Église ? Où est l’Église ? Naturellement, on a une petite tendance à penser que ceux qui sont dans l’Église, c’est ceux qui sont comme moi… « Vous êtes là, dimanche… C’est une communauté rassemblée et ceux qui sont de l’Église, eh bien ils sont là ! Ceux qui n’en sont pas… ils sont dehors ! » Évidemment, cela ne suffit pas. Parce que ce serait croire que pour faire partie de l’Église, il suffit de faire partie d’une institution ecclésiale, une communauté visible. Or le Christ est là lorsqu’Il convoque, lorsqu’Il rassemble son Église, – Ekklesia signifie convocation -, Il est présent. C’est certain. Il est aussi là, mais cela ne se voit pas ! L’Église ne se définit pas par rapport à nous. Elle se définit par rapport au Christ. C’est le Christ qui fait l’Église, ce n’est pas nous ! Je ne peux pas dire que je suis l’Église ; nous ne pouvons pas dire que nous sommes l’Église. Le Christ est l’Église. Et font partie de cette Église ceux qui sont unis à Lui, connectés à Lui.
Heureusement d’ailleurs, parce que sinon, lorsque l’on parle de l’Église sainte, ce serait un énorme mensonge, parce que quand je me regarde, je vois bien que je ne suis pas que saint. Non. L’Église est sainte parce que c’est le Christ qui la sanctifie. Parce que c’est le Christ qui est saint.
Alors évidemment il y a un moyen principal, premier, préféré de Dieu pour faire partie de l’Église, et vous le savez, c’est lorsque Dieu donne Sa vie, Sa sainteté par les sacrements, en particulier le baptême. Le mode normal et habituel pour être partie de l’Église, c’est d’être baptisé. Mais si Dieu a choisi de donner le Salut par le baptême, par les sacrements, Il n’est pas lié par les sacrements. Et un papou de papouasie, même s’il ne connaît pas explicitement le Christ, d’une manière que l’on ne connaît pas, au fond de son cœur, Dieu peut lui parler. Et s’Il se met à l’écoute de ce que lui dit Dieu, alors l’Église est en Lui, et Il est l’Église.
Dieu nous a choisi pour que nous soyons membres du Corps du Christ. Et c’est d’abord, et avant tout, et même seulement, une grâce, un cadeau et certainement pas un motif d’orgueil ou de fierté ! C’est ce que disait le psaume d’ailleurs. “Préserve aussi ton serviteur de l’orgueil”. Parce que c’est ça la tentation. C’est de croire que nous sommes meilleurs que les autres parce que nous connaissons le Christ.
Alors le Salut, Dieu le donne par l’Église. L’Église visible, et ses sacrements et aussi l’Église invisible, lorsque Dieu agit dans le cœur de chacun. Et on pourra dire, – à ce titre-là ! -, « hors de l’Église, point de Salut ». Quand on dit cette phrase, on a l’impression d’être un taliban. Mais non, c’est une phrase qui est vraie, fondamentalement ! Non pas parce que ceux qui sont comme moi seront sauvés. Mais parce que tous ceux que le Christ touche, et incorpore à Son Corps sont sauvés et font partie de ceux qui sont convoqués… De cette Église, Ekklesia.
II – la frontière de l’Église
Voilà un premier point ! Et puis, lorsque l’on reprend l’Évangile, il y a deux parties. La première partie, c’est le débat entre les disciples de Jésus. Et puis il y a cette deuxième partie où l’on peut avoir l’impression que la cohérence n’est pas très forte. Cette histoire de pieds qu’il faut couper, de main qu’il faut couper d’œil qu’il faut arracher ! Quel est le lien ?
En fait, quand Jésus aborde cette comparaison, ce qu’lL veut nous signifier d’abord, c’est que dans le Corps de l’Église, il peut y avoir des membres qui s’opposent au projet du Christ. Et ces membres qui s’opposent au projet du Christ, il faut être radical avec eux. Vous allez me dire, du coup, on va rallumer les bûchers ! Bien évidemment, non. Non, parce que qui s’oppose au projet du Christ en réalité ? N’est-ce pas moi ?
En fait le cardinal de Lubac et le cardinal Journet, – le cardinal de Lubac, c’est le théologien lyonnais des années 60, un peu avant… et le cardinal Journet, c’est un théologien aussi, fribourgeois, de Suisse -, et ils insistent sur le fait que la frontière de l’Église, elle ne se délimite pas entre vous et moi et ceux qui sont ici et ceux qui sont dehors. La frontière de l’Église, elle passe d’abord au travers de notre cœur. Et le membre qui s’oppose au projet de Christ, c’est d’abord moi. Peut-être pas moi tout entier… Peut-être qu’en moi, il y a une partie qui accepte d’être convertie par Jésus. Mais il y a des parties que je garde pour moi. Vous voyez ce que je veux dire… Le Seigneur veut éclairer toute ma vie. Il veut faire de toute ma vie un lieu saint ! Et en même temps, de mon côté, j’expose une partie de ma vie au regard de Dieu, au soleil de Dieu, et il y a une partie que je garde pour moi, un peu égoïstement, en choisissant mon confort et mon égoïsme. Et c’est là… c’est là qu’est la frontière de l’Église. Et c’est là que chacun de nous est appelé à un discernement. Et à un choix… radical ! Savoir exposer, y compris ces parties un peu sombres de nous-mêmes, au soleil du Christ. Savoir trancher dans le vif, parfois.
Un petit exemple concret, pratique : si mon téléphone m’empêche d’être dans la relation véritable et réelle avec les gens qui m’entourent, peut-être qu’il faut que j’apprenne à m’en passer. C’est radical et ce sera douloureux. Ça revient bien à s’arracher un œil ! Mais si je pars loin de Dieu, dans la solitude et la détresse, avec mon téléphone, cela me fera une belle jambe !
III – le scandale
Alors faire partie de l’Église, ce que, puisque nous sommes baptisés, nous pouvons dire… Quand même ! Dieu nous a touché, nous a connecté à Lui. C’est d’abord et avant tout un motif de conversion. Le Christ nous appelle sans cesse, et nous dit : “Viens à moi. Ouvre-toi à Moi, tout entier. Ouvre ton cœur. Je veux habiter chez toi”. Et nous ? Eh bien ouvrons toutes les portes. Ouvrons toutes les portes. Et du coup, l’on comprend mieux cette phrase, qui est dure et forte : “celui qui est un scandale, une occasion de chute pour un seul de ses petits qui croit en Moi, mieux vaudrait pour lui qu’on lui attache au cou une de ces meules que tournent les ânes, et qu’on le jette à la mer”. La phrase est fine… dans le sens où ce n’est pas une punition que Jésus demande. Il ne s’agit pas de jeter à la mer avec une meule autour du cou celui qui a posé un acte grave. Non. Celui qui a posé un acte grave, réellement blessant pour le corps de l’Église, “pour ces petits qui sont mes frères”… Celui-là, sa détresse, son malheur est tel qu’il aurait certainement mieux valu pour lui être mort avant.
C’est cela que veut dire Jésus. Et de fait, l’actualité récente nous a percuté en pleine face. Et on voit bien que ceux qui ont posé des actes graves, – je pense évidemment à des prêtres -, ces prêtres-là, surtout s’ils ont pris conscience de la gravité de cet acte-là, certainement certains se disent : “Seigneur ! pourquoi m’as-tu laissé vivre pour que je puisse poser cet acte-là ?” Il s’agit pour nous d’entrer résolument dans ce combat qui est celui du bien et du mal et le champ de bataille, c’est mon cœur ! Et nous pouvons écouter cette lettre de saint Jacques : “Pleurez maintenant, vous les riches. Pleurez, lamentez-vous !” Pourquoi ? Qui sont ces riches ? Peut-être d’abord, nous, qui venons ici régulièrement le dimanche, et qui entendons la Parole de Dieu, qui recevons le cadeau ultime, le plus beau cadeau qui soit, Dieu lui-même ! Son Amour, tout entier ! Incarné ! Pour cette eucharistie. Nous qui ne nous rendons pas compte du trésor que nous portons et qui ne changeons pas de vie.
Dieu nous appelle
Saint Jacques nous appelle à une vraie conversion. Si nous laissons moisir le trésor qui est en nous, nous risquerons bien de nous retrouver seuls, isolés, perdus. Mais le Seigneur nous appelle et s’Il nous convoque, c’est bien parce qu’Il veut notre joie et notre bonheur. S’il nous appelle, c’est bien parce qu’Il a une solution pour nous. Il veut nous sauver. Et c’est Lui qui nous sauve. Il suffit de nous tourner vers Lui, d’ouvrir notre vie, d’ouvrir notre cœur, d’être présents à Lui. Et alors le psaume s’accomplit pour nous. “Les préceptes du Seigneur sont droits, ils réjouissent le cœur”. Alors ces préceptes du Seigneur, nous les connaissons bien, nous les connaissons bien : “Écoute Israël, le Seigneur ton Dieu est l’unique. Tu l’aimeras de toute ta force, de tout ton esprit, de toute ton intelligence, et tu aimeras ton prochain comme toi-même”.