Par l’abbé Gaël de Breuvand
Il s’agit de la retranscription d’une prédication orale, c’est pourquoi le style reste familier.
Les titres sont ajoutés après retranscription.
L’Église nous appelle à nous réjouir parce que un certain nombre d’entre nous, de notre peuple, de notre famille, sont aujourd’hui face-à-face avec Dieu et ils sont dans le bonheur parfait. Ils sont saints !
I – La sainteté, c’est la relation avec Dieu
Alors tout d’abord, j’aimerais que l’on se pose la question, que l’on se réinterroge sur ce que veut dire saint. Parfois, on a une image, -ça a été la mienne – : quand on pense saint, on pense vitrail. Et vitrail, moi, je ne sais pas pour vous, mais moi, ça ne me donne pas tellement envie d’y être. C’est un peu figé ! On dit même que l’éternité, c’est un peu long : surtout vers la fin. Donc peut-être que si l’Église nous invite à vouloir être saint, c’est que ça signifie un peu autre chose. Ce n’est peut-être pas figé justement.
Alors qu’est-ce que c’est qu’être saint ?
C’est d’abord un acte de notre part, et c’est un acte de contemplation. C’est regarder Dieu dans sa beauté, dans sa bonté, dans ce qu’Il est même. Alors, vous me direz : ‘Dieu ne change pas !’. Et c’est vrai. ‘Alors au bout d’un moment, on risque de s’ennuyer quand on aura bien vu’.
Mais évidemment, on peut repenser à nos expériences, lorsqu’on écoute une musique, du Bach, du Mozart ou je ne sais… Plus on l’écoute, – et pourtant elle ne change pas -, plus on l’écoute, plus on l’apprécie, plus on la goûte. C’est vrai avec le vin aussi. Un bon vin, plus je le goûte, plus je l’apprécie. Et c’est vrai combien plus dans la relation et dans la relation… d’amour. En fait, quand j’aime, quand je suis en relation ; plus j’aime et plus je suis en relation, plus je m’adapte à l’objet de ma contemplation.
Il y a quelques jours, nous étions à Bourg-en-Bresse avec quelques confirmands, et nous avons rencontré un jeune couple… un jeune couple de 70 ans de mariage ! Un jeune couple, ça l’était vraiment, parce que à un moment, lui nous a dit : ‘j’ai 94 ans et j’ai l’impression que chaque jour je l’aime un peu plus, je n’aurai jamais imaginé l’aimer à ce point-là quand je me suis marié. Elle est la chair de ma chair’.
Alors si cet amour-là est possible sur la Terre… Et je pense qu’il la contemplait… et pourtant, elle avait aussi 94 ans et elle commençait à avoir les atteintes de l’âge, et en particulier un début d’Alzheimer… Si un amour comme celui-là est possible sur la Terre, combien plus, combien plus lorsque nous regardons Celui qui est la source de tout Amour. Alors non, les Saints ne sont pas figés et les saints ne s’ennuient pas. Ils contemplent et ils aiment.
Alors là, du coup, peut-être que ça peut nous donner envie.
II – la sainteté, c’est la familiarité avec Dieu
Vous savez, on partage tous cette expérience, on a une petite tentation, voire une grosse, qui est de se centrer sur nous-mêmes, et de faire de nous la référence de toutes choses. Alors, ma quête du bonheur devient souvent, se limite souvent, à une recherche du confort. Et nous savons bien que ce n’est pas ça.
Vous savez, il y a une déclaration des Droits de l’Homme qui a été publiée. Ben dans ces Droits de l’Homme, il n’y a pas de droit au bonheur. Non. On a droit à pleins de choses, mais il n’est pas dit qu’on a droit au bonheur.
Et d’ailleurs, les droits ne sont même pas ordonnés, c’est-à-dire que l’on ne sait même pas pourquoi on a ces droits. On a droit à s’exprimer, à trouver les moyens pour se soigner, on a droit à une éducation… on a droit… Mais pour quoi ? Et en fait, c’est bien pour cela, c’est bien pour le bonheur que ces droits ont été proclamés. Et on sait bien que lorsque je pourrais profiter de tous ces droits-là, le bonheur ne me sera pas garanti pour autant. Et à l’inverse, nombre de personnes n’ont que peu de ces droits, et pourtant, eux, ils sont dans le vrai bonheur.
Alors du coup, il faut encore s’interroger : ‘c’est quoi cette sainteté ? ‘
Sainteté ou saint en hébreu, c’est Qadosh. C’est ce : ’Qadosh, Qadosh, Qadosh’, c’est le terme qui est repris trois fois lorsque Isaïe rentre dans le temple de Jérusalem et il rencontre les chérubins. Et les chérubins chantent : ‘saint, saint, saint le Seigneur Dieu de l’Univers’. C’est ce que nous allons reprendre tout à l’heure. Le saint, c’est celui qui est tout autre. Complètement différent de nous. Tellement différent qu’on ne peut pas le rencontrer. On peut l’imaginer, on peut avoir confiance dans sa présence, mais il n’est pas de notre ressort, il n’est pas de notre pouvoir de le rencontrer. Le fait même qu’il existe, cela nous décentre, et cela fait que ce n’est plus nous qui sommes la référence absolue de toute chose, de tout bien. Nous pouvons nous tourner vers lui, et c’est lui qui est la référence. Cela nous évite de tomber dans la tyrannie du moi. Je ne suis plus mon propre tyran, mais je deviens un serviteur ordonné à une autre puissance, à un autre pouvoir… à ce Saint.
Mais ce n’est pas suffisant.
Ce n’est pas suffisant, parce que ce Saint-là, il ne nous donne pas tellement envie d’aller vers lui, alors qu’il a tout pour plaire. Alors ce Saint-là, qui s’est révélé dans la Bible, Il est venu se faire proche de nous. Il se présente à nous comme un père. Il se présente à nous comme un fiancé, comme un époux, comme un serviteur et comme un ami. ‘Je ne vous appelle pas mes serviteurs, je vous appelle mes amis’. On peut donc établir une relation avec Lui ; tellement, qu’Il nous a donné Son Fils, qui est homme, pleinement homme, et donc, tôt ou tard, dans l’arbre généalogique, on est cousin avec Jésus. Nous sommes vraiment de Sa famille. Et comme nous sommes de Sa famille, nous pouvons en vérité dire à Dieu : ‘Père’.
III – la sainteté, c’est se livrer à Dieu
Et pour cela, pour pouvoir établir cette relation, il va falloir que j’accepte ce décentrement, que j’accepte de ne pas être la référence. Il va falloir que j‘accepte de montrer mes manques, ma vulnérabilité. C’est bien le cœur même de ces béatitudes : ‘bienheureux ! Bienheureux ceux qui sont pauvres de cœur’. C’est-à-dire qu’ils considèrent, qu’ils perçoivent, qu’ils ne sont pas pleins d’eux-mêmes, mais qu’ils ont un grand creux dans le cœur. ‘Bienheureux ceux qui pleurent, qui souffrent, qui sont dans la détresse, qui sont persécutés, qui ont faim et soif’. Bienheureux ceux qui sont en manque ! C’est surprenant tout de même. Et en ouvrant mon cœur à cette présence, Dieu vient s’installer… Parmi nous. Dieu vient s’installer… En nous. Il s’installe et Il vient combler mes manques et mes vulnérabilités. Et en se disant cela, on se dit : ‘ah bah, c’est un médicament parfait’. Mais non. Dieu n’est pas un opium. Dieu, en venant combler mes manques, Il ne me rend pas lisse. Il aurait trop peur de me transformer en saint de vitrail. Dieu, pour venir combler mes manques, vient éprouver ces manques, ses détresses, ces souffrances avec moi. C’est ça Jésus. Il les éprouve avec moi et par le fait même qu’Il est le Christ, le Sauveur, Il vient faire de ces manques, de ces creux qui sont en moi, des sources ! Des sources. Et alors nous pouvons devenir telle la Samaritaine, une source d’eau jaillissante pour le monde.
Quelques exemples…
Une maman voit son fils tourner très mal. Elle en est désespérée. Elle pleure. Elle crie vers Dieu. Elle verra jamais vraiment son fils s’en sortir et elle mourra plutôt triste. Elle a quand même vu frémir des lueurs d’espoir. Cette maman, c’est sainte Monique, la maman d’Augustin.
Un autre… touché par le cœur de Jésus, il veut consacrer sa vie toute entière à Lui. Il se retire dans le désert et crée une communauté. Toute sa vie, il est seul. Il va éprouver cette solitude, au plus profond de tout son être. La détresse de Charles de Foucauld est patente, et pourtant, on sait le fruit qu’Il porte aujourd’hui. Nous ne pouvons pas mesurer la fécondité de l’œuvre de Dieu en nous, qui vient s’installer dans nos souffrances, dans nos détresses, dans nos nuits.
Une jeune femme rentre dans une communauté religieuse pour enseigner en Inde. Elle a de grande grâce. Elle ressent vraiment la présence de Dieu. Un jour, elle ressent un appel, elle entend cet appel tout particulier à venir s’occuper des plus pauvres. Et elle s ‘engage. Elle s’installe toute seule et très vite, elle est rejointe par quelques sœurs indiennes. Et ce sont les missionnaires de la charité. Quasiment au moment où elle s’installe dans cette vie-là, de renoncement à toute richesse, à tout confort, elle ne ressent plus la présence de Dieu. Elle ne la ressent tellement plus qu’elle aura même la conviction intime que Dieu n’est pas. Et elle a pourtant fondé toute sa vie sur cette conviction que Dieu aime ! Pendant 10 ans, elle sera dans le noir. Au moment où ces sœurs s’engageront dans leurs vœux perpétuels, elle obtiendra une grâce, une confirmation lui disant : ‘si, c’est bien le bon chemin’. Et puis de nouveau, la Lumière s’éteindra pendant 50 ans. Et c’est mère Térésa.
Dieu vient dans nos souffrances, dans nos détresses, dans nos nuits, dans nos malheurs. Non pas pour nous en guérir comme s’il était un superman, mais pour nous en sauver, en nous accompagnant.
La sainteté, c’est être appelés ! Et nous le sommes tous
Alors c’est sérieux tout cela.
C’est sérieux, parce que c’est toute notre vie que nous engageons. Ce ne sont pas seulement les 10, 20, 30, 40 ou 50 ans qui nous restent à vivre, – ou un peu plus, j’espère ! -, Non, c’est une vie éternelle.
Et nous sommes tous appelés à cette sainteté. Nous sommes tous appelés à regarder Dieu face-à-face, comme le disait le psaume. Face-à-face. Il me regarde et je Le regarde. Il m’aime et je L’aime en retour. Et dans cette contemplation, je change et je suis chaque minute mieux adapté à ce qu’Il est, Lui, Dieu. Et comme Il est infini, je ne me lasserai jamais. Si nous voulons accueillir cette sainteté que Dieu nous propose, qu’il nous propose à tous, sans exception ! C’est le Concile Vatican II qui nous le rappelle : ‘nous sommes tous appelés à la sainteté’. À cette ressemblance avec Dieu, à force de le contempler.
Mais cette sainteté, si nous nous appuyons sur notre propre force, nous n’y arriverons pas. Nous aurons vite tendance à nous recentrer sur nous-mêmes, et à nous satisfaire de tous petits plaisirs et de tous petits conforts, qui ne répondent pas à l’appel de notre cœur, ni même à l’appel de notre intelligence.
Alors il s’agit de se reconnaître pauvre, petit, faible et de l’accueillir, Lui, Jésus, Sauveur ! Il vient dans quelques instants, dans cette eucharistie, dans cette communion. Nous serons pleinement membre de Son corps.
‘Par Lui, avec Lui et en Lui’, nous serons pleinement saints et alors nous serons la Gloire et la Louange pour notre Dieu. Tout notre être : Gloire et Louange pour notre Dieu. Alors notre vie, peu-à-peu, – ça ne se fera pas d’un coup d’un seul, ça ne se fera pas magiquement, mais peu à peu -, nous nous adapterons à ce qu’est Dieu et nous pourrons pleinement vivre d’Amour. Nous pourrons témoigner de ce qu’Il est.
Et croyez bien, si nous voulons la paix, la justice sur notre Terre, il n’est pas d’autres moyens. Il faut que nous acceptions de changer. Il faut que nous acceptions de ressembler au Christ. Il faut que nous acceptions d’être un reflet, un canal de l’Amour de Dieu pour ce monde.