Par Monseigneur Emmanuel Gobilliard
Quand nous écoutons la Parole de Dieu, nous devons commencer par nous dire, – même si elle a été écrite il y a très très longtemps, pas loin de 2 000 ans – : ‘Elle est pour moi. Elle est pour moi personnellement. Le Seigneur s’adresse à moi, par sa Parole, en ce moment. Qu’est-ce que cela vient toucher dans mon cœur ?’ Il faut parfois prendre le temps de faire cette petite réflexion à l’intérieur de soi. ‘Qu’est-ce qu’elle vient toucher dans mon cœur ?’ Alors une fois que je vous ai dit cela, reprenons le début de la deuxième lecture.
« Vous tous, vous qui avez été appelés par Dieu ». Formidable ! C’est exactement ce qui se passe aujourd’hui, pour chacun d’entre vous. ‘Vous, qui avez été appelés par Dieu, regardez-bien. Parmi-vous, il n’y a pas beaucoup de sages parmi les hommes, ni de gens puissants ou de haute naissance. Au contraire, ce qu’il y a de fou dans le monde, Dieu l’a choisi’. En fait Dieu vous dit que vous êtes fous ! C’est une folie de croire en Dieu. C’est une folie de s’engager avec Lui. C’est quelque chose qui va faire de vous des personnes absolument uniques. En fait, ce que le Seigneur est en train de vous dire dans la deuxième lecture, c’est : ‘ne vous comparez pas’ ! Il y a quelque chose d’unique qui est presque du domaine de cette folie créatrice en chacun de vous, dans le cœur de chacun d’entre vous, et dont le Seigneur a besoin. Et ce n’est pas toujours dans la norme. Ce n’est pas toujours dans ce qui est bien prévu, bien organisé, bien « selon le monde ».
Le danger, dans le monde d’aujourd’hui, c’est que l’on ne cesse de comparer. Et on vous présente des héros, -des soi-disant héros-, auxquels vous devez absolument correspondre.
Alors on organise des jeux télévisés où les gens sont montés au pinacle, en fonction d’une qualité, et si vous n’avez pas cette qualité, vous êtes de nuls ! Voilà ce que nous disent parfois les médias. Si vous n’avez pas réussi votre vie en termes de pouvoir et d’argent, vous êtes mauvais. Eh bien le Seigneur nous dit tout le contraire. Il nous dit : ‘Plongez dans votre cœur, dans ce que vous êtes profondément, dans ce que vous avez reçu, dans ce qui fait que vous êtes des personnes uniques. Recevez cela et dites-vous que moi, j’en ai besoin’. Il y a une diversité dans l’Église qui fait son unité. Il y a une diversité qui fait sa richesse. Ce que la deuxième lecture nous dit, c’est que vous êtes très divers. Rien que par l’âge. Il y a ici toutes les jeunesses, puisque la vraie jeunesse, c’est celle qui nous fait correspondre à Dieu, qui nous fait refléter le visage de Dieu lui qui est l’éternellement jeune. La diversité, elle est représentée par ces sept bougies qui représentent les sept dons du Saint-Esprit. Alors bien sûr, vous allez tous les recevoir les dons du Saint-Esprit. Mais souvent, l’Esprit Saint, nous aide à en développer un en particulier à tel point que dans les procès de canonisation, – il ne faut pas hésiter à voir grand ! -, dans les procès de canonisation, on essaie de rechercher quel est le charisme spécifique de la personne. Quel est le don spécifique de la personne ? Quelle est cette qualité particulière que la personne a développée pour l’offrir au monde et à l’Église ? Qu’est-ce que vous avez d’unique, dont l’Église a besoin ?
C’est un peu aussi ce que le Pape nous dit, ce que le Pape vous a dit aux Journées mondiales de la Jeunesse. Il me semble qu’aux dernières JMJ, il a été question d’un sofa. Il nous a dit : ‘sortez de votre sofa !’ Il a dit : ‘sortez… sortez de la banalité’. On a tous une tendance à vouloir se recroqueviller sur soi-même, se replier sur soi, vivre un bien-être qui ne correspond pas toujours au vrai bonheur.
D’ailleurs cela tombe bien, c’est l’évangile d’aujourd’hui. L’évangile qu’on lie souvent au bonheur, c’est l’évangile des béatitudes. C’est l’évangile aussi qu’on lit le jour de la Toussaint. Les saints, ce sont ceux qui ont vécu pleinement le bonheur que Dieu avait mis dans leur cœur pour le donner au monde.
Nous devons faire la différence entre le bien-être et le bonheur. Dans notre société, on parle beaucoup de bien-être. Alors, on vous dira souvent : ‘surtout pense à toi ! Surtout fais attention à toi !’ Et finalement, l’unique référence, ça reste nous-mêmes. Bon… c’est vrai qu’il faut penser à sa santé, mais cela ne suffit pas.
Je me souviens d’un évènement dramatique qui a eu lieu lorsque j’étais jeune, c’était des scouts ou des guides, qui avaient été tués, il y avait eu plusieurs morts, – peut-être certains s’en souviennent -, à la suite de la chute d’un round-bowler de foin dans une grange. Les médias s’en étaient donnés à cœur-joie : ‘le scoutisme, c’est terrible, c’est dangereux pour la santé, regardez, il y a des morts !’ On avait considéré toutes les activités de plein air, tous les camps de jeunes comme extrêmement dangereux ! Et la montagne… Comme c’est dangereux !’ Et puis une journaliste, qui avait été un tout petit peu plus maline que les autres, a dit : ‘on va reprendre les chiffres de la mortalité chez les jeunes et on va voir ce qui est le plus dangereux’. Et elle s’est rendue compte que ce qui était le plus dangereux, c’était de ne rien faire. Parce que les statisticiens avaient oublié de mettre, dans ce taux de mortalité, les morts dramatiques des jeunes qui avaient perdus l’espérance.
Le pire, le plus dangereux pour la santé, c’est de perdre l’espérance. Alors soyez fous ! Et ayez soif d’un vrai bonheur, d’un bonheur qui vous fera gravir les montagnes, qui vous fera avoir des projets fous, une vocation remplie. J’ai beaucoup aimé, dans les lettres que vous m’avez envoyées, ce désir d’être profondément vous-mêmes. Et j’ai remarqué qu’à ce désir de vous donner correspondait aussi des aspirations en termes professionnels, qui étaient justement en lien avec cela. Dans le domaine de la santé, dans le domaine de l’aide aux personnes, dans le domaine du service en général. C’est très beau de voir cette générosité du cœur. Surtout ne la perdez pas, et demandez au Seigneur de la transformer, pour qu’elle soit vraie et durable.
Maintenant, je voudrais revenir avec vous sur l’évangile. On dit que c’est l’évangile du bonheur. Et pourtant c’est très choquant ce qu’il y a dedans. Vous savez, quand j’entends : ‘heureux ceux qui pleurent’. Je me dis qu’il y a quelque chose qui ne va pas. A moins qu’on n’ait pas tout-à-fait tout compris. Vous savez, le Seigneur n’est pas banal dans l’Évangile. Il ne prêche pas un langage politiquement correct ou banal. Il donne des paroles que l’on a parfois du mal à comprendre. Donc il faut creuser. Pourquoi veut-il notre Bonheur, et en même temps nous dit-il : ‘heureux ceux qui pleurent’ ? Pourquoi est-ce qu’il veut nous soulager de la souffrance et en même temps nous dit-il : ‘prenez sur vous mon joug’, par exemple ? C’est peut-être qu’on a mal compris en fait ! Donc il faut reprendre la Parole de Dieu, il faut réfléchir, il faut la creuser.
Par exemple le joug, vous connaissez ça : ‘prenez sur vous mon joug’… On est ici dans un quartier un peu plus rural que Lyon, mais comme moi je viens d’un pays qui est vraiment très rural, tout le monde sait ce que c’est qu’un joug. Un joug, c’est la pièce de bois qu’on met sur des bœufs, sur DEUX bœufs. Ah, déjà, ça nous donne un élément pour réfléchir. DEUX ! ‘Prenez sur vous mon joug’, ça veut dire qu’il y a la place pour mettre la tête de deux bœufs. Ça veut dire qu’en fait, finalement, c’est peut-être Lui qui se met sous nos difficultés pour les porter avec nous. On est deux parce que Lui, par sa croix, par sa souffrance, par sa vie, par son soutien, par son amour, Il vient avec nous pour porter nos vies. Et puis quand nous avons une difficulté dans l’évangile, prenons l’habitude d’ajouter une petite phrase… du style : « comme Jésus l’a fait ! » Soyez purs…comme Jésus est pur » ‘soyez parfait – il y a cela dans l’Évangile, c’est compliqué d’être parfait ! –, comme votre père céleste est parfait’, ou bien : ‘aimez-vous les uns les autres’, – c’est compliqué de nous aimer les uns les autres –, alors le Seigneur ajoute : ‘comme je vous ai aimés’.
Ça a l’air encore plus compliqué, mais ça résout beaucoup de choses. Ici, je voudrais ajouter une chose : ‘heureux ceux qui pleurent, comme moi j’ai pleuré’, nous dirait Jésus. C’est-à-dire que la norme morale, c’est Jésus. Et vous savez, Jésus, il a surtout pleuré sur les difficultés des autres. Il a pleuré sur les souffrances de la famille de Lazare, sur la mort de Lazare. Il a éprouvé cette tristesse de la compassion. Il a pleuré sur les filles de Jérusalem. Il a pleuré sur les autres, pas sur lui. Et moi, j’aime résoudre cette béatitude en disant, il ne s’agit pas de glorifier la souffrance, il ne s’agit pas de dire : ‘soyez bien malheureux ici, et si possible en silence, et vous verrez au ciel cela ira beaucoup mieux’. Cette façon de parler n’est pas du tout chrétienne. Sinon, le Seigneur ne serait pas venu pour nous guérir, pour nous sauver, pour faire tous les miracles qu’il a faits pour soulager notre souffrance.
En revanche, il y a une vraie joie, profonde, un vrai bonheur, à avoir le cœur tendre, à être capable de compassion, à être capable d’aimer comme Jésus nous a aimés. Quand vous entendez : ‘heureux ceux qui pleurent’, ajoutez : ‘comme moi j’ai pleuré’. ‘Comme moi, je n’ai pas été indifférent à tous ceux qui m’entouraient’.
Et puis vous prenez toutes les béatitudes. Pour voir comment Jésus les a mises en pratique, Lui-même. Comment il a vécu ce don exceptionnel qu’est l’Esprit saint. Demandez au Seigneur de transformer vos vies au point d’être capable d’aimer en vérité.
Finalement, le résumé de la Confirmation, c’est de dire : ‘l’Esprit Saint vous donne sa force pour aimer comme Jésus’. Qu’est-ce que c’est la Confirmation ? ‘L’Esprit Saint vous donne sa force pour aimer comme Jésus. Et Jésus a aimé de façon exceptionnellement donnée. Il était tourné vers les autres. Il était sorti de lui-même ; Il sortait de lui-même. Il est sorti de la Trinité. Il aurait pu rester bien tranquille dans son Ciel vous savez ! Ça se passait très bien là-haut. Il a choisi de venir nous sauver. Il est sorti de lui-même.
Eh bien le bonheur, c’est ça. Le bonheur, c’est d’apprendre à sortir de soi et de ne plus être fermé sur soi-même. C’est apprendre à aimer, à donner, à être tourné vers les autres. Le contraire du bonheur, qu’on appelle le péché, c’est d’être tourné vers soi, replié sur soi. Et on a plein de tentations dans la vie actuelle. Il est difficile d’entrer en relation avec les gens, simplement parce que dans la rue, dans les transports, beaucoup ont un casque sur les oreilles et un écran devant les yeux. C’est bien de se détendre mais il y a un risque que la détente ne soit qu’individuelle. Alors que, pour avoir fréquenté quelques pays en Afrique, là-bas, on trouve sa joie et sa détente dans la rencontre. On ne peut pas, par exemple, entrer dans un wagon de train, sans, avant la fin du trajet, connaître toutes les personnes qui sont dans le wagon, et avoir discuté avec chacun d’eux. Je me dis que c’est un peu triste, notre vie trop individualiste, trop individuelle, trop tournée vers elle-même. Le Seigneur nous donne la force d’aimer, de donner, de nous rencontrer, de vivre l’Evangile. Ce que le Pape appellerait ‘l’Eglise en sortie’, c’est d’abord auprès de vos amis, de vos familles. Voilà ! Ce témoignage qui vous est demandé, c’est celui-là ! Le témoignage de la charité. Alors recevez l’Esprit Saint de tout votre cœur. Ouvrez votre cœur à tout ce que le Seigneur veut transformer en vous, veut approfondir avec vous, veut révéler en vous. Ouvrez-lui toutes vos activités, comme je l’ai dit au début. Le Seigneur, il s’invite partout : dans vos détentes, dans votre travail, auprès de vos amis, dans votre famille… Rien ne lui est étranger, parce que rien de ce que vous faîtes ne lui est indifférent.
Pourquoi rien de ce que vous vivez ne lui est indifférent ? Simplement parce qu’Il vous aime ! Voilà ! … Désolé pour Lui… Il vous aime ! Et cela, vous ne pouvez pas l’empêcher. On peut pas empêcher les autres de nous aimer. Alors recevez cet amour de Jésus, par l’Esprit Saint comme un cadeau. Et c’est cela qui nous fait vivre ; le vrai moteur, c’est cela. Je suis aimé. Donc rendez grâce au Seigneur dans cette célébration et demandez-lui la force,– puisque vous êtes aimés –, demandez-lui la force d’aimer comme lui. Amen.