par le père Dino Gbebe
L’image que je retiens volontiers pour introduire la solennité de la bienheureuse Trinité est celle d’une radieuse lumière qui à la fois éclaire et éblouit. La lumière, en effet, fait exister les choses en les arrachant à l’obscurité. Ainsi, celui qui vit dans la clarté du jour baigne dans un milieu naturel et familier qui lui permet de se mouvoir ; mais lorsqu’il lève son regard vers le soleil pour le fixer, il en est aussitôt ébloui. Ainsi en va-t-il de la Trinité : sans elle, la fois chrétienne s’évanouit ; et pourtant lorsque nous essayons de la contempler en elle-même, nous en sommes inévitablement aveuglés. Toute notre vie chrétienne se déroule sous le signe de la Trinité : c’est par elle que nous sommes créés et sauvés, en elle que nous sommes baptisés, elle que nous invoquons dans notre vie de prière et nos liturgies, vers elle que sommes en marche. Et pourtant qui saurait vraiment l’expliquer ?
Comment, en effet, ne pas être ébloui par la splendeur de ce mystère qui résume, en un unique et seul mot, tout le contenu de notre foi ? Comment ne pas se sentir désarçonné et totalement dépassé ? Pour nous, disciples du Christ, la Trinité est le mystère par excellence, dont la révélation progressive s’est effectuée tout au long de l’histoire du salut. Pour les non chrétiens, par contre, il ne s’agit que d’une monstrueuse absurdité ou d’une aberrante invention qui porte atteinte à l’unicité de Dieu. En somme, une affirmation contraire au bon sens et forcément blasphématoire puisqu’elle semble mettre en cause la grandeur même de Dieu.
On comprend dès lors la sévérité avec laquelle le coran condamne cet article de notre foi : « Ce sont certes des mécréants, ceux qui disent qu’Une Divinité Unique ! Et s’ils ne cessent de le dire, certes, un châtiment douloureux touchera les mécréants d’entre eux » (Sourat almaida).
Au fait, pour ceux qui rejettent la foi en la Trinité, cette formulation doctrinale ne serait qu’une invention faite par l’Eglise lors des Conciles de Nicée (325) et Constantinople (381), sous l’influence de la philosophie grecque. Elle n’aurait donc aucun fondement scripturaire.
La réalité, évidemment, est tout autre. De fait, dès les origines chrétiennes, l’Eglise a toujours reconnu et professé la foi en l’unité trinitaire de Dieu, même si la précision terminologique ne s’est effectuée que lentement au cours de l’histoire. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder la structure des prières liturgiques des premiers siècles ainsi que « les formules trinitaires » qui foisonnent aussi bien dans les Evangiles que les autres écrits du Nouveau Testament.
Au sujet de la révélation progressive de ce mystère, Saint Grégoire de Nazianze, l’un des grands évêques catéchètes du IV è siècle, qui lutta avec fermeté contre l’hérésie arienne, écrivait ceci : « L’Ancien Testament a clairement annoncé le Père, et le Fils de manière obscure. Le Nouveau a révélé le Fils et fait entrevoir la divinité de l’Esprit. Maintenant, l’Esprit habite parmi nous et se manifeste plus clairement. Quand la divinité du Père n’était pas encore comme, il n’aurait pas été prudent d’annoncer ouvertement celle du Fils ; et quand la divinité du Fils n’était pas encore admise, il ne fallait pas imposer, si j’ose dire, un nouveau poids aux hommes en leur parlant de l’Esprit Saint…Il fallait s’avancer de clarté en clarté, par des progrès et des poussées toujours plus brillantes, pour voir luire la lumière de la Trinité » (Or. 31,26).
En définitive, que confessons-nous réellement en parlant de la bienheureuse Trinité ? Saint Athanase le résume en des termes d’une rare précision : « Nous vénérons un Dieu dans la Trinité et la Trinité dans l’Unité, sans confondre les Personnes ni diviser la substance : autre est en effet la Personne du Père, autre celle du Fils, autre celle du Saint-Esprit ». En d’autres termes, nous professons en Dieu l’unité sans confusions et la distinction sans séparation.
Deux attributs de Dieu, que nous partageons d’ailleurs avec les autres religions, peuvent nous aider à saisir quelques aspects de ce mystère : la paternité et l’amour de Dieu.
Dans presque toutes les religions du monde, Dieu est appelé « Père », mais pour les chrétiens, cette paternité n’est pas d’abord liée au fait de la création mais plutôt à une « génération » éternelle au sein de la divinité. De toute éternité, en effet, le Père engendre le Fils, qui est de même nature que lui. Quand Jésus appelait Dieu « Abba », il ne faisait qu’exprimer dans un langage humain la relation qui existe de toute éternité entre lui et le Père, « Moi et le Père, nous sommes un » (Jn 10,30).
D’autre part, tous les croyants, sans toujours bien mesurer la portée de leurs mots, confessent que Dieu est amour. Ici, encore, une précision de taille s’impose : l’amour suppose toujours une altérité, car un amour qui est tourné uniquement vers soi-même n’est rien d’autre qu’une forme d’égoïsme. De toute éternité, disait Saint Augustin, le Père aimait le Fils et leur amour mutuel est l’Esprit. Audacieuse affirmation qui dépasse la raison mais qui peut être saisie, dans une certaine mesure, par un cœur aimant.