Par le père Dino Gbebe
L’Evangile qui nous est proposé aujourd’hui est paradoxal et fascinant à la fois. Il a de quoi nous dérouter. Après l’avoir écouté, il est normal d’éprouver un certain embarras. Effectivement, ce sont des paroles qui semblent posséder une étrange force d’attraction et qui brûlent. Aimer son ennemi ? Qui en est vraiment capable ? Et d’ailleurs, cela est-il raisonnable ?
Jésus recommanderait-il la démission face à l’agression de l’ennemi ? Préconiserait-il un pacifisme inactif qui pourrait mettre en danger la vie des individus et des sociétés ? Au lieu de se résigner devant l’adversaire, ne vaut-il pas mieux lutter contre la violence et l’injustice ? Voilà autant de questions incommodes que l’on ne peut éviter de se poser en fermant cette page d’Evangile.
Et tout d’abord, qui est mon ennemi ? Ne nous réfugions pas trop vite derrière le prétexte facile que « nous n’avons pas d’ennemis ». Sommes-nous certains d’aimer tout le monde et d’être aimés par tous ? Rien de moins sûr, réalisme oblige ! La liste des ennemis potentiels, même pour les chrétiens que nous sommes, peut être bien longue. On peut, en effet, ranger sous le dénominateur commun d’ennemis des situations bien variées allant de l’antipathie et l’incompatibilité de caractères à la rivalité secrète, à la haine déclarée, à la trahison sans scrupules, à l’hostilité affichée, à la persécution et au désir de mettre à mort.
Notons que dans son exhortation, Jésus va bien au-delà de la simple difficulté d’aimer que nous éprouvons, pour parler d’actions délibérées de l’ennemi : agression physique, vol prémédité, violation des droits. Sur ce point, il est bon de nous rappeler que souvent nous ne choisissons pas nos ennemis ni les circonstances de l’hostilité. Cependant, nous sommes libres de choisir la réponse à donner à la provocation.
Mais aujourd’hui, que nous recommande le Christ ?
Face à l’ennemi, Jésus demande d’abord de laisser faire, en ne rendant pas le mal pour le mal et en n’exigeant pas que justice soit faite. Bien plus, il nous exhorte à prier pour l’ennemi, en implorant pour lui le pardon de Dieu et la grâce de la conversion ; ce qui suppose que nous nous disposons nous-mêmes à lui pardonner. Le Christ va encore plus loin en nous demandant de faire du bien à celui qui nous veut du mal, car c’est la seule manière efficace de rompre le cercle vicieux de la violence. Il nous demande enfin de ne pas maudire, mais de bénir, en invoquant les faveurs divines sur celui qui veut notre perte.
Comment ne pas se sentir embarrassés devant des exigences aussi radicales ? Pourquoi le Christ recommande t-il une attitude qui paraît si étrange ? Curieusement, Jésus ne nous garantit pas que la non-violence ou l’amour de l’ennemi produira forcément sa conversion. Ce qui semble l’intéresser, ce n’est pas l’ennemi mais plutôt le disciple auquel il promet une récompense, en l’invitant à imiter la miséricorde de son Père qui est dans les cieux. Et c’est précisément dans cette dernière affirmation que réside toute la nouveauté de l’amour chrétien.
L’amour humain est basé sur le mérite ; on n’aime que ceux qui méritent de l’être. De manière paradoxale, l’homme cherche dans l’autre la raison de l’aimer. Il en va tout autrement chez Dieu, qui trouve en lui-même la raison de nous aimer, sans aucun mérite de notre part. Voilà pourquoi le Christ nous demande de ne pas limiter notre amour au cercle réduit de ceux qui nous aiment.
Précisons, enfin, que l’amour des ennemis est à distinguer de l’amour-amitié (philia) et de l’amour-passion (eros). Il s’agit d’un amour qui n’est pas basé sur le sentiment mais sur la volonté, un amour qui ne répond pas à des motivations humaines mais correspond plutôt à un précepte divin. Qui donc peut pratiquer un tel amour s’il n’est pas habité par Dieu ? f ffffffffffff