Par le père Dino Gbebe
Aujourd’hui, dans l’évangile, il s’agit du grand miracle et de l’appel des apôtres. Rien dans leur passé et leur vie professionnelle ne semblait les destiner à une mission particulière. Ils n’étaient pas différents des autres, pas meilleurs ni plus saints, assurément : Isaïe était un noble d’Israël, Paul un rabbin juif et Pierre un pêcheur du lac de Tibériade. Aucun d’eux n’était réellement à la recherche d’une vocation. Leur avenir semblait, d’ailleurs, tout tracé et déjà bien engagé. Et pourtant, l’appel de Dieu leur est tombé dessus, à l’improviste, au moment où ils s’y attendaient le moins : Isaïe dans le temple, Pierre et ses compagnons sur leur lieu de travail et Paul sur la route de Damas.
Tous ont été témoins de faits extraordinaires qui les ont bouleversés : une vision grandiose dans le temple, une pêche miraculeuse et un éblouissement instantané. Tous, également, ont été saisis d’effroi, en prenant conscience de leur indignité devant Dieu. Tous, enfin, ont accepté d’abandonner leur profession pour embrasser leur profession pour embrasser leur nouvelle vocation.
Ainsi, dans la diversité des scénarios qui nous sont proposés aujourd’hui, trois éléments essentiels relient ces récits. D’abord, c’est Dieu qui appelle qui il veut et où il veut. Ensuite, personne ne peut prétendre réellement mériter une telle grâce ; enfin le Seigneur lui-même donne à son élu les moyens de remplir la mission qu’il lui confie.
Précisions, d’autre part, que toute vocation commence par une « séduction de Dieu » qui émeut, bouleverse, interroge, interroge, ébranle, surprend. Même lorsqu’il se produit sans faits extraordinaires, l’appel de Dieu laisse toujours dans le cœur de l’homme choisi une impression de sublimité. On est toujours conscient de s’engager dans une aventure qui dépasse les forces humaines.
Cela dit, rejoignons Pierre et ses compagnons sur les bords du lac de Tibériade. Tout a commencé pour eux par une nuit franchement décevante. Les paniers désespérément vides après des heures d’effort inutile, ils s’apprêtent à rentrer chez eux. C’est à ce moment, nous dit l’Evangéliste, que Jésus qui vient de montrer dans la barque de Pierre, lui demande de l’éloigner un peu du rivage, pour que, de cette tribune improvisée, sa voix parvienne mieux aux foules amassées autour de lui pour l’écouter. Pierre s’exécute sans protester, malgré la fatigue. Il vient de lui prêter sa barque : bientôt c’est toute sa vie qu’il lui donnera.
Après avoir parlé un moment à la foule, Jésus arrache Pierre et ses compagnons à la fascination de son enseignement, en leur demandant d’avancer au large pour jeter les filets. On comprend aisément la surprise de Pierre devant une invitation aussi insolite venant d’un charpentier. Que peut-on espérer prendre au petit matin, lorsque la nuit a été absolument stérile ? Et puis, que connaît le jeune prophète à la pêche ? Les filets ne sont-ils pas déjà lavés ? Doit-on les salir de nouveau pour une dernière tentative, dont on devine déjà le résultat ? Malgré tout son respect, Pierre ne peut s’empêcher de le faire remarquer à Jésus : « Maître, nous avons peiné toute la nuit sans rien prendre ». Pourtant, après ces mots, il ajoute : « Mais, sur ton ordre, je vais jeter les filets ». Et le miracle s’accomplit.
La leçon sera retenue pour le reste de leur vie : lorsque Dieu commande, il faut lui faire confiance, même si ces ordres paraissent dénués de sens. Jésus nous dirige vers les profondeurs, là où nous pouvons trouver de quoi combler véritablement nos âmes, dans la ligne de la volonté de Dieu.
Viennent enfin la confession de Pierre et la révélation de sa mission : « Désormais, ce sont des hommes que tu prendras ». Après l’épisode de la pêche miraculeuse, cette déclaration suggère que le résultat que les apôtres obtiendront dans leur mission dépassera de loin leur prévision. Mais ce résultat dépendra du Seigneur et de la fidélité avec laquelle les apôtres lanceront les filets, à sa demande. « Tu seras pêcheur d’hommes ». Simon Pierre est maintenant prêt à recevoir une mission. Sa mission est une transformation de son métier, telle que seule l’intelligence créative de Dieu pouvait l’opérer : de pêcheur, il devient pêcheur d’hommes. Simon Pierre a rencontré la puissance de Dieu, à la vue de son propre péché, et il fut alors capable de discerner le dessein de Dieu sur lui. Si nous cherchons d’abord le Royaume de Dieu, tout cela nous sera donné de surcroît : connaissance de soi et, le plus important, connaissance de cette œuvre que Dieu a en vue pour chacun de nous. En vivant selon sa volonté, nous serons conduits dans les profondeurs de Dieu, avec Jésus notre Seigneur. Cette belle histoire vécue par Pierre et ses compagnons est-elle réservée à quelques privilégiés ? On pourrait le croire en l’imitant la vocation au sacerdoce et à la vie religieuse Et pourtant l’Eglise ne cesse de nous répéter que tous les baptisés sont des appelés, des envoyés. Il suffit pour cela de se laisser séduire par Dieu ou contaminer par ce « virus sans vaccin » qu’est la sainteté. Ne soyons donc pas des « chrétiens consommateurs » qui attendent tout de l’Eglise sans s’engager réellement au service de Dieu. Soyons plutôt des « chrétiens missionnaires » qui avancent au large pour jeter leurs filets, en nous fiant à la parole du Maître.