Être roi : pour servir ou se faire servir ?
Par l’abbé Gaël de Breuvand
Il s’agit de la transcription d’une prédication orale. Les titres sont ajoutés après transcription.
« Vous êtes rois ! » C’est surprenant ! On n’a pas forcément l’habitude de s’entendre dire cela. Nous sommes, tous, chacun, rois. Et pourquoi sommes-nous rois ? Parce que nous sommes baptisés, nous sommes connectés au Christ, nous vivons de la vie de Dieu, Il est notre tête et nous sommes les membres de Son Corps. Et si tête est “roi”, eh bien tous les membres sont “rois”, avec Lui ! Alors nous sommes rois en vérité, si nous sommes bien dans une relation vivante avec notre tête. Évidemment, nous ne serons pas rois tout seul. Nous avons besoin des autres membres du corps.
I – être roi à la manière des hommes…
Connectés au Christ, connectés à nos frères… Et en même temps, quand on dit cela dans notre culture contemporaine, un roi, qu’est-ce que c’est ? Un homme qui gouverne seul ? Qui décide seul ? Qui vit dans le luxe ? Qui est vénéré ? Qui est une sorte de tyran… Alors si l’on souhaite se marier (il s’adresse particulièrement à la quinzaine de couples de fiancés en préparation au mariage), et que l’on me dit, “je suis roi”, je ne suis pas sûr que ce soit la bonne idée de penser le roi comme cela. “Sers-moi, je suis roi !” Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne base… Je pense que vous êtes d’accord ! De fait, cela nous pose tout de suite une question : est-ce que l’on se marie pour soi ? Est-ce que l’on est fait pour vivre pour soi ? Est-ce que ce que je dois chercher en premier dans ma vie, c’est le confort, le plaisir et mon bonheur ? … Si je vous pose la question…, vous pensez bien…, cela oriente un peu la réponse. Et de fait, si je vis dans mon bonheur à moi tout seul, dans une sorte d’égoïsme, d’égocentrisme… Si je me marie pour moi, pour ma joie, pour mon bonheur, si j’ai des enfants pour moi… ça risque de pas marcher ! Ce sera complètement bancal !
Alors du coup, nous regardons Jésus. Jésus, est-ce qu’Il est roi ? Alors Il n’est pas seul, Il a 12 apôtres, et beaucoup de disciples qui le suivent, Il n’est pas vraiment dans le luxe, Il le dit d’ailleurs : “le Fils de l’Homme n’a même pas une pierre pour reposer sa tête”. Il y a des moments, on veut le faire roi : quand Il multiplie les pains, Il dit : “Non, je ne veux pas”. Les gens veulent leur faire croire car c’est confortable d’avoir un roi qui vous donne à manger quand vous lui demandez… et Il dit “non”, Il s’échappe. Et il y a d’autres moments comme cela…
Alors Jésus roi, est-ce que ce ne serait pas une relecture postérieure, quand l’Empire romain est devenu chrétien ? C’était confortable d’avoir un Jésus, roi. Comme cela, l’empereur pouvait dire : “Moi, je suis le successeur de Jésus”. Je ne dis pas qu’il n’y a pas eu cette tentation dans l’histoire de l’Église. À une certaine époque médiévale, on a pensé Jésus roi comme un empereur terrestre. Et de fait, cela, Jésus, très clairement, le refuse.
Pour autant, Il l’affirme et Il nous le dit : “Il est roi !” Et quand-est-ce qu’Il le dit ?
II – Roi à la manière de Dieu
À trois moments :
Il le dit d’abord un tout petit peu avant ce passage, lorsqu’Il rentre dans Jérusalem, Il est monté sur un âne, et Il accomplit la parole d’un prophète qui disait : “Voici Jérusalem, voici ton roi qui vient vers toi, monté sur le petit d’une ânesse”. Alors oui, la foule va l’acclamer en disant : “Hosannah, Hosannah, Fils de David ! Toi qui est capable de nous sauver : Hosannah ! Ô Fils de David, Fils de Roi !” Et Jésus, lorsqu’on lui dit : “fais taire ceux qui crient vive le roi”, Jésus dit : “Si on les fait taire, les pierres crieront”. Autrement dit, Il accueille, Il accepte ce titre de roi.
Mais ce jour-là, vous le savez, c’est le jour des rameaux. Et quelques jours plus tard, Il est arrêté. Il entre dans sa Passion et Il va poser son plus bel acte de roi : Il va déposer son manteau, se mettre à genoux aux pieds de ses disciples, et Il va leur laver les pieds. Car être roi, pour Jésus, c’est cela. Être d’abord et avant tout un serviteur. Ne pas chercher à se servir, mais à servir la joie des autres.
On continue, et là, il y a cette rencontre entre Pilate et Jésus pendant ce procès : “Es-tu le Roi des Juifs ?” Jésus ne répond pas. “Dis-tu cela de toi-même, ou d’autres l’ont-ils dit à mon sujet ?” Alors Pilate dit : “Je ne comprends rien. Vous, vous êtes Juifs… Et moi, les Juifs, je sais pas… Qu’as-tu fait ?”. Et Jésus répond : “Ma royauté n’est pas de ce monde”. Autrement dit, Il répond : “Oui, je suis Roi !”. Mais pas à la manière des hommes. Et si l’origine de cette royauté n’est pas de ce monde, cela ne veut pas dire qu’elle ne s’applique pas dans ce monde. Cette royauté doit se mettre en œuvre dans notre monde, mais pas à la manière des hommes. Je me répète, hein ? Comme ça, ça rentre bien…
Pas à la manière des hommes. Non ! Le bon roi, -et ça, c’est vrai déjà dans la Bible lorsque l’on regarde les rois de l’Ancien Testament -, les bons rois, ce sont ceux qui sont comme des bergers. Et un berger, s’il s’assoit sur son caillou en disant aux brebis : “venez me servir”, ça risque de ne pas marcher. Le bon roi, il est à la suite de ses brebis, il les accompagne, il va les chercher, il les sort du danger, il en prend soin. Il s’assure qu’elles aient suffisamment à manger. Il s’assure qu’elles soient suffisamment confortables.
Oui, Il est roi ! Alors c’est intéressant quand on fait un petit peu d’étymologie. On va chercher le mot rex, en latin. Et rex, ça veut dire : celui qui dirige, celui qui conduit. En fait, celui qui donne la direction. Ce n’est pas celui qui écrase ou qui tyrannise un pauvre peuple qui n’a rien demandé. Non… Non… c’est celui qui donne la bonne direction. Qui montre le but !
III – La vérité, c’est la fidélité de Dieu
Et quel est ce but ? Eh bien, continuons la conversation de Jésus. “Alors tu es roi”, dit Pilate, qui commence à comprendre sans comprendre. Il est toujours un peu perdu… Et Jésus répond : “c’est toi qui le dit. Et tu as raison. Moi Je suis né, Je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la Vérité”. La Vérité… Et c’est une vraie bonne question : qu’est-ce que la Vérité ? C’est la question que pose Pilate juste après. Et il n’attend pas de réponses d’ailleurs. Et qu’est-ce que la Vérité ?
La Vérité, de notre point de vue, c’est une parole qui correspond au réel. Et du point de vue de Dieu, -Dieu est réel ! -, et quand Il parle, c’est le fait qu’il y ait une cohérence entre cette parole et Lui. Et donc, ça correspond à Sa fidélité. En fait, en hébreu, le mot vérité, c’est le même mot que le mot fidélité. Ma parole est vraie… Ma parole est fidèle… Et nous le disons souvent ce mot, parce qu’Amen veut dire : c’est vrai ! C’est fidèle ! C’est comme un rocher. On ne peut pas le déplacer. C’est solide. J’y crois ! Parce que c’est vrai !
Une parole, qui correspond au réel. Et cela tombe bien que vous soyez là, aujourd’hui, vous qui vous préparer au mariage, parce que dans quelques mois, vous allez dire une parole, qui justement va vous engager, et vous allez, par cette parole, transformer le réel. C’est fort quand même ! Vous serez un peu comme Dieu : votre parole va faire le réel. “Je me donne à toi et je te reçois pour t’aimer”. Et vous allez vous le dire l’un à l’autre. Et cet instant-là, le lien qui existe déjà entre vous, va se retrouver renforcé, solidifié, réalisé, accompli. Alors si on en reste là et qu’on le fait que le jour de la célébration, cela risque de ne pas marcher non plus. Il faut le recommencer tous les jours. Parce que l’on a une petite tendance, nous, à avoir du mal à rester fidèles. Et donc c’est une décision qu’il nous faut reprendre. C’est notre différence avec Dieu. Dieu, une fois qu’Il a parlé une fois, Sa parole raisonne dans l’éternité. Elle n’a pas besoin d’être renouvelée tous les jours. Par contre, nous, on a besoin de l’entendre tous les jours.
Cette fidélité de Dieu, cette vérité de Dieu, elle s’accomplit à la messe. Jésus a donné sa vie une fois. Et chaque dimanche, à chaque messe, nous sommes à nouveau devant ce mystère de la Croix. Et nous entendons cette parole : “Ceci est mon corps donné pour toi”. Et qu’est-ce que nous faisons de ce Corps, eh bien nous allons le manger. Le transformer en nous ? Non ! C’est nous qui allons être transformés en Lui. Nous allons communier. “Ceci est mon corps donné pour toi”. Dans quelques mois, c’est cette parole-là que vous allez dire l’un à l’autre. Que vous avez dite pour ceux qui sont mariés depuis un peu plus longtemps… : “Ceci est mon corps, ma vie, tout mon être donné pour toi, pour ton bonheur et ta joie”.
Et voilà, c’est la troisième fois ! On a vu deux moments où Jésus était pleinement roi. Et le troisième moment, c’est lorsqu’il accomplit ce don, sur la Croix. Voilà son trône : la Croix ! Vous allez me dire : “waouh ! C’est pas très drôle ! On ne se marrie pas pour la Croix !” Ben, un peu… Si. Parce que l’on se marrie pour la joie et le bonheur de l’autre ! On donne notre vie ! Il y aura des grands moments de joie. Mais n’en ayez aucun doute, ces moments de joie seront d’autant plus précieux que vous les aurez vécus, donnés, même quand ce sera difficile, surtout quand ce sera difficile.
Alors oui, nous sommes rois. Pas au sens de notre culture actuelle. Mais bien au sens biblique, au sens du Christ : pasteur qui prend soin des brebis ; serviteur qui se donne, qui donne son temps, son énergie ; roi souffrant, qui offre sa souffrance, qui donne ce qu’Il est pour nous. En fait, être vraiment roi, c’est aimer. C’est aimer. Et donc, dans un mariage, on est roi l’un pour l’autre. Non pas roi qui veut se faire servir, ce serait au sens du monde, mais roi qui veut se mettre au service. Et là, c’est le sens de Dieu. Et il n’y a que comme cela que c’est tenable d’ailleurs. Il n’y a que comme cela que c’est tenable. Parce que le Seigneur vous appelle à donner votre vie pour toujours. Du coup, si je me dis : “je veux être servi”. L’autre va se fatiguer. Et vous ne serez jamais satisfait. Et donc du coup, au bout de quelques années, on va s’arrêter là. Alors que si vous vous dîtes : “Je donne ma vie pour le servir, pour la servir, eh bien là, ça devient possible”. Ça devient possible. Difficile ! Mais possible. Et Dieu est là, à chaque instant, pour nous aider. Et chaque dimanche, Il se redonne à nous pour que nous puissions vivre de Sa vie, pour que nous puissions aimer. Chaque dimanche, chaque fois que nous nous tournons vers Lui, chaque fois que nous prenons un peu de temps avec Lui, Il nous transforme en Lui, et nous devenons ses témoins.