Donner son nécessaire, donner sa vie
Par l’abbé Gaël de Breuvand
Il s’agit de la transcription d’une prédication orale. Les titres sont ajoutés après transcription.
I – la veuve de Sarepta
Dans la première lecture, on a entendu une histoire du prophète Élie. Cela se passe dans les années 850 avant Jésus-Christ. Il se trouve qu’à l’époque, sur la terre d’Israël, il y a une grande sécheresse et qu’Élie s’en va au Nord, en pays païen pour, d’abord obéir à Dieu, – parce que Dieu lui a demandé d’aller là-bas -, et entre autres parce que la reine d’Israël, à l’époque, Jézabel, veut sa mort. Donc il part dans cette région du Nord et il arrive à Sarepta. Mais là aussi, il y a sécheresse et famine.
Il rencontre une veuve, qui est donc une païenne. Il l’appelle et lui dit : “Veux-tu me puiser, avec ta cruche, de l’eau ?” Ce qu’elle fait… “Donne-moi du pain”. Et alors que cette femme n’a rien, à peine un repas, elle lui donne. Ce qu’elle donne, elle donne l’essentiel, le nécessaire absolu pour elle pour vivre. Si elle ne l’a pas, elle va mourir… Et elle le sait ! C’est ce qu’elle dit : “je rentre le préparer ; nous le mangerons et puis nous mourrons. Et pourtant, je te le donne”.
Elle le donne parce qu’Élie lui a fait une promesse au nom du Dieu d’Israël. Et vous connaissez ce petit texte : « Jarre de farine point ne s’épuisera, vase d’huile point ne se videra, jusqu’au jour où le Seigneur donnera la pluie pour arroser la Terre ». Alors nous pourrions nous dire : “bah oui. La promesse était là. C’est bon. C’est facile !”. Voilà. Mais quand le Seigneur nous fait une promesse, est-ce qu’on le croit absolument tout de suite ? En fait, mettons-nous à la place de la veuve. Allons-nous faire confiance à la parole d’un prophète qui viendrait nous dire : “c’est bon, ne t’inquiète pas de demain, tu peux tout dépenser aujourd’hui. S’il ne te reste rien, le Seigneur prendra soin de toi”.
De fait, nous savons que c’est un peu difficile. Il est très difficile de faire confiance au Seigneur à ce point-là. Pourtant, lorsque Jésus nous parle, Il nous invite à ne pas prendre trop souci du lendemain. Le Seigneur, qui prend soin des petits moineaux, prendra soin de vous, prendra soin de nous. Ne nous inquiétons pas. Nous valons beaucoup plus qu’une foultitude de moineaux.
II – La veuve de l’évangile
Donc le Seigneur nous invite à faire un pas dans la confiance. Un pas dans la confiance vers Lui. Et c’est encore ce qui nous est proposé dans l’évangile que l’on a entendu aujourd’hui. Jésus était assis devant le temple, devant la salle du trésor. Cette salle du trésor, c’est là où tout juif peut faire un don pour l’entretien du temple, pour le culte. Et aussi pour le bien des pauvres. Beaucoup y mettent de grosses sommes, – et l’on ne dit pas que c’est pas bien ! Au contraire, on a le droit de mettre de grosses sommes -, et une pauvre veuve, encore une pauvre veuve !, vient et pose deux pièces, petites pièces !, de monnaie. Et Jésus dit qu’elle donne tout. Elle a donné sa vie en fait ! Elle a donné sa vie ; dans un acte immense de confiance, elle a dit : “Cet argent-là, je le donne, c’est ma vie, mais je fais confiance au Seigneur pour mon bien. Si le Seigneur veut que je vive, je vivrai. Je serai dans la joie. Si le Seigneur veut que je meure, eh bien je vivrai aussi parce qu’Il m’appelle, et je serai dans la joie”. Nous savons bien que la mort physique n’est pas l’essentiel.
De fait, c’est un immense acte d’amour pour Dieu, d’abord, et puis aussi pour les hommes, que fait cette pauvre veuve. Peut-être qu’elle n’a pas compris exactement ce que cela impliquait. À quoi vont servir ses deux pièces ? Elle ne le sait pas… Mais elle donne parce que la règle du culte implique que chacun est invité à donner. Cet acte de confiance en Dieu, en la Loi, en la Loi du Temple est quelque chose d’assez remarquable, que Jésus souligne. Elle a tout donné pour cela. Et c’est admirable !
III – Ils ont tout donné
Alors pour nous, qu’est-ce que cela veut dire ? D’abord, aujourd’hui, en ce 11 novembre, on peut penser à toutes les veuves qui sont restées après la guerre de 14-18. Et il y en a eu, beaucoup. Chacun, si nous cherchons dans nos arbres généalogiques, sur nos quatre arrières grands-mères, il y en a forcément au moins une qui est restée veuve. Certainement deux, et peut-être trois ! Donc des veuves, il y en a eu beaucoup. Et elles ont eu, toutes, à prendre courageusement en main leur vie et à donner ce qu’elles étaient pour le bien de leurs enfants et de ceux qui ont suivi après. Nous pouvons rendre grâce pour toutes ses veuves ! Qui ont su donner sans compter. Qui ont su donner, dirais-je, pour reprendre quelques mots scouts, qui ont pu « donner sans attendre de récompense« . Elles avaient déjà tout perdu. Et elles donnent encore !
Nous pouvons penser aussi à tous ces soldats qui sont partis. Peut-être qu’ils ne savaient pas exactement pourquoi, ni comment cela allait se passer… On peut regretter un certain nombre de choix et de décisions politiques qui ont été prises à l’époque, entre autres, celle de ne pas dire la vérité. Mais tous ces hommes qui sont partis, ils sont partis en sachant qu’ils allaient donner leur vie. Surtout lorsqu’on arrive en 1918. Il n’y a alors plus de grands mystères sur ce qu’est la guerre. En sachant qu’ils allaient donner leur vie ; et pourtant, ils y vont ! Ce n’est plus la fleur au fusil, évidemment… Et pourtant, ils y vont ! Parce qu’ils pensent que leur cause, la cause française est juste ! Qu’il est plus juste de parler français aujourd’hui en France, qu’allemand.
Bien évidemment et actuellement, les historiens s’en font un plaisir, – les politiques aussi -, de remettre en cause les raisons et la valeur du don qu’ils ont fait. De fait, tous ces soldats-là, oui, d’une certaine manière peuvent être appelées victimes, mais pas seulement ! Pas seulement. Lorsqu’ils sont partis au combat, ils savaient ce qui les attendait. Et pourtant, ils ont choisi de donner cette vie. Ils ont choisi de la donner pour quelque chose de plus grands qu’eux. Et cela, c’est honorable. Et c’est pour cela que nous les honorons.
Dans ces soldats, il y avait des gens bien et puis des gens moins bien. En fait, c’était assez représentatif de notre assemblée d’aujourd’hui, assez représentatif de nos communes, assez représentatif de notre pays aujourd’hui. Avec des gens bien, et des gens moins bien… Mais tous ont été invités à faire un pas de plus dans l’abnégation, dans la solidarité, dans la fraternité. Parce que l’on ne dit pas beaucoup aujourd’hui, c’est que cette épreuve qu’a été les tranchées et la guerre, a été pour tous l’occasion d’établir un dialogue, et c’est un point tout particulier. En 1889, la Loi française ne donne plus de droits particuliers aux séminaristes et aux prêtres. Ils devront faire leur service, – et la guerre ! -, comme tout le monde, avec une arme dans les mains. En 1914, on est toujours sur ce régime-là. Et donc, sac au dos, les séminaristes et prêtres partent fusil en main. Alors de fait, assez rapidement, dans les unités, il y a quand même un certain nombre de chrétiens qui vont demander les services spécifiques du prêtre ou du séminariste. Et peu-à-peu, le statut va changer, d’abord de manière informelle, mais ils vont devenir les conseillers spirituels de ces hommes. Une fraternité réelle va s’établir entre l’anticlérical du Sud-Est et le chrétien de Bretagne. L’aumônier aura une place toute particulière.
En fait, s’il y a une leçon que l’on peut tirer de cette guerre, malgré toutes les atrocités et toutes les horreurs, c’est que nous ne pouvons établir de liens durables et solides que si nous traversons ensemble des épreuves. Alors j’espère bien que des épreuves comme celles-là, nous n’en connaîtrons pas trop vite, même après d’ailleurs, mais ces épreuves-là, elles viennent. Nous ne sommes pas toujours forcés de les éviter. Et c’est vrai dans nos vies à nous, quotidiennes, dans nos familles, dans nos fratries. Si nous voulons établir de vrais liens, il nous faut affronter des épreuves ensemble. Et lorsque l’on sort, que ce soit victorieux ou non d’ailleurs, le lien est établi. Et quelques années plus tard, alors que l’on ne s’est pas revu, lorsque l’on se reconnaît, on se souvient et on sait que nous sommes frères.
Alors aujourd’hui, nous pouvons repenser à ces pauvres veuves de l’Évangile, qui font confiance à Dieu. Jusqu’à tout donner ! Nous pouvons penser à nos soldats, à notre pays qui s’est engagé tout entier dans la guerre et qui a tout donné, et qui a beaucoup perdu. Et nous pouvons nous poser la question : Et nous, est-ce que nous avons quelque chose, une raison pour laquelle donner notre vie ? Parce que fondamentalement, donner notre vie et aimer, cela revient au même. Le Christ a donné sa vie pour nous. Il nous invite à faire de même : à donner nos vies pour nos frères, à donner notre vie pour nos frères. Engageons-nous, et aimons !