Conférence de carême – Brignais – 20 mars 2018
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2018-03-20 – Conférence de carême – la messe
Par l’Abbé Gaël de Breuvand
Sommaire
Notre thème était une question, avec une réponse un peu humoristique… L’eucharistie, un repas ? Et une réponse : un concentré, – à entendre comme un jus concentré -, de Semaine Sainte. Vous savez tous, – personne n’a moins de 15 ans dans cette assemblée -, que l’on s’écharpe facilement depuis une quarantaine ou une cinquantaine d’années autour de la question de la messe. Certains disent : “la messe, c’est un repas et c’est ça le plus important ! ”. D’autres : “la messe, c’est un sacrifice et c’est ça le plus important ! ”. Sans doute y a-t-il d’autres convictions, mais telles sont les deux principales.
Or, la messe, qu’est-ce donc ? La messe comprend trois dimensions. Je m’inspire largement du cardinal Barbarin, – à tout Seigneur tout honneur -. [Je m’appuie aussi beaucoup sur les enseignements du cardinal Ratzinger et du cardinal Journet]
Le cardinal Barbarin insiste sur le fait que la messe, c’est le Jeudi Saint qui se rend présent à nous. Et le Jeudi Saint, qu’est-ce ? C’est le lieu de la communion avec Jésus qui se met aux pieds de ses disciples et qui les appelle à être des frères, à faire les uns pour les autres ce que Lui-même vient de faire. Je cite saint Jean (Jn 13, 15) : « c’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez de même ce que j’ai fait pour vous ». C’est un appel à l’humilité. Le Jeudi Saint est donc le lieu de la communion. Et la Messe, l’Eucharistie, est le lieu de la communion. Et d’ailleurs, un moment phare pendant la messe s’appelle… la communion !
La Messe, ce n’est pas seulement le Jeudi Saint, c’est aussi le Vendredi Saint. C’est aussi Jésus qui porte sa croix, qui est sur la croix, qui meurt sur la croix, qui donne Sa vie. Il y a à la fois cette dimension de communion et cette dimension de sacrifice, puisque c’est le mot que l’on utilise. Le sacrifice qui se manifeste est quasiment l’un des derniers mots de Jésus, peut-être le dernier dans saint Luc (Lc 23, 46) : « Père, entre tes mains, je remets mon esprit ». Nous reviendrons sur ces termes.
Donc un Jeudi Saint – communion, un Vendredi Saint – sacrifice et enfin la Messe, c’est aussi Pâques, la Résurrection. Jésus présent. Jésus est ressuscité, et Il est vivant. Vous savez que, – vous venez à la messe régulièrement -, juste après la consécration, il y a l’anamnèse : « il est grand, le mystère de la foi. Nous proclamons ta mort, Seigneur Jésus. Nous célébrons Ta résurrection, nous attendons Ta venue… ». Trois dimensions sont ici réunies… Et juste après, le prêtre enchaîne en disant : « c’est pourquoi tes serviteurs et aussi ton peuple saint avec nous, faisons mémoire de la passion bienheureuse de Ton fils, de sa résurrection et de son ascension ». La messe fait mémoire de la mort, de la résurrection et de l’ascension. Ces trois aspects sont les aspects de la présence de Dieu. Quand Jésus ressuscite, Il est au milieu de ses disciples. Il apparaît au milieu de ses douze apôtres. Il leur dit : « que la paix soit avec vous », dans cette pièce fermée. Il en manquait un, d’ailleurs : Thomas n’était pas là. Il est présent au milieu d’eux. Et quarante jours plus tard, sur le mont des Béatitudes, Il s’élève et Il disparaît à leurs yeux. C’est l’Ascension. On pourrait se dire qu’Il n’est plus au milieu d’eux. Mais si. Il est là ! Il continue à être avec nous, tous les jours, jusqu’à la fin des temps. Il l’a promis, et Il tient ses promesses. C’est le dernier mot qu’il dit dans l’Évangile selon saint Matthieu (Mt 28, 20) : « voici que Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps ». Et Il l’est d’une manière tout à fait particulière, spécifique et substantielle, par la messe. Voilà donc les trois piliers de la messe : communion – sacrifice – présence. Ça va pour l’instant ?
L’origine juive de la messe
Revenons à présent sur cette dimension de communion, sur cette dimension du Jeudi Saint, sur, finalement, le contexte dans lequel Jésus invente la Messe. Reprenons par exemple l’Évangile selon saint Luc (Lc 22, 7) : « vint le jour des Azymes, – c’est le moment où l’on chasse de la maison juive tout ce qui pourrait ressembler à du levain. C’est la veille de la Pâques -, et il envoya Pierre et Jean en disant : allez donc préparer la Pâque, que nous la mangions. Il les envoie… C’est d’ailleurs une demande un peu mystérieuse…- où veux-tu que nous le fassions ? – Vous verrez un homme qui porte une cruche sur la tête, quand il arrivera dans une maison, vous direz : nous venons de la part du maître… » Le message de Jésus est très codé. On pense aux espions… Jésus entre donc dans cette salle qui est préparée pour le repas de la Pâque. Il est intéressant d’étudier ce qu’est ce repas de la Pâque.
La fête juive de la Pâque consiste en un repas : le Seder
Les Juifs célèbrent la Pâque tous les ans, depuis 4000 ans ! Un peu moins… Allez ! 3000 ! Depuis à peu près 1200 avant Jésus Christ, lors de la sortie d’Égypte. En tout cas, les traces écrites datent d’à peu près 800 avant Jésus-Christ à 700 avant Jésus Christ, et c’est quelque chose qui était déjà reçu.
Le repas de la Pâque, on l’appelle le ‘seder’ chez les Juifs. Et le ‘seder’, ça veut dire le déroulement, l’ordre. Ce repas est ritualisé. Chaque chose se fait à sa place. Le ‘seder’, est divisé en quinze étapes : c’est très codifié. Et pendant ces 15 étapes, il va y avoir des temps où l’on mange quelque chose, – il y a six éléments différents à manger : du pain, de l’agneau, des herbes amères… -, il y aura 4 ou 5 coupes de vin à boire, il y aura sur chaque chose que l’on mange ou que l’on boit une bénédiction, deux fois ou trois fois ?
La narration, le Magguid
Enfin il y aura pendant ce repas un récit, un grand récit pour répondre à la question suivante : “pourquoi est-ce que l’on fait cela ? ”. On l’appelle le ‘magguid’. On vient en quelque sorte de finir l’apéritif, et à ce moment-là, un jeu de rôle se met en place et le plus jeune de la famille, – le repas de la Pâque doit rassembler au minimum 10 personnes pour être célébré ; c’est un repas familial, non pas un repas vécu avec l’ensemble de la communauté, à la synagogue -, le plus jeune de la famille en âge de parler, donc, pose les questions. La première question, c’est : “qu’est-ce qui fait que cette nuit est différente de toutes les autres nuits ? ” Et le père répond à la question. Il répond à la question et on se souvient : on fait mémoire de ce jour où Moïse a fait sortir les Hébreux d’Égypte. Dieu a libéré son peuple. Ensuite, il y aura un certain nombre de questions sur tous les éléments pratiques. “Pourquoi les autres fois, nous ne trempons jamais la nourriture dans la sauce amère, mais que cette fois, on la trempe systématiquement deux fois ? ” Et donc le père explique : “c’est parce qu’Il n’a pas voulu qu’on parte avec du pain sec, et donc il fallait le mouiller plus…”
Après, il faudrait être Juif pour connaître tout cela… Il y a toutes sortes de questions : “d’habitude on mange du pain levé et ce coup-ci, c’est du pain azyme ? – Nous n’avons pas eu le temps de le faire lever…, répond le père. Et encore : Pourquoi aujourd’hui mangeons-nous des herbes amères ?” À chaque fois, il y a une explication concrète et pratique issue de la Bible, et il y a aussi une interprétation spirituelle qui elle, est plutôt issue du Talmud ou de la Mishna, les autres textes de références juifs.
Le Jeudi Saint, Jésus commence comme lors du repas de la Pâque
Donc le repas du Jeudi Saint est ainsi codifié. C’est ce que vit Jésus avec ses douze apôtres. C’est assez frappant, par exemple, dans les questions posées. À la question de l’enfant juif à son père lors du repas de la Pâque : “pourquoi ce coup-ci nous trempons notre pain dans la sauce et que d’habitude on ne le fait pas ?”, on peut retrouver cette évocation entre Judas et Jésus, lorsque Jésus dit, dans Saint Matthieu (Matthieu 26, 23) : « celui qui a mis avec moi la main dans le plat, c’est celui qui me livrera ». Donc ces éléments apparaissent dans le repas que Jésus vit avec ses disciples. Donc le Jeudi Saint est bien une reproduction du repas de la Pâque.
Dans les autres petits indices savoureux, j’ai mentionné qu’il y avait 4 coupes à bénir. En fait, on en a béni une au tout début du repas. Quand je reprends l’évangile selon saint Luc, il est très intéressant d’observer que l’on a le récit dont je parlais précédemment, tiré du Deutéronome, de l’Exode… et ensuite, on bénit la deuxième coupe. Et là, Jésus, chez saint Luc (Luc 22, 17) : « ayant reçu une coupe, Il rendit grâce et il dit : – prenez ceci, partagez entre vous car je vous le dis, je ne boirai plus désormais du produit de la vigne jusqu’à ce que le Royaume de Dieu soit venu ». Il ne s’agit pas à cet instant d’une consécration. Le vin n’est pas encore changé en sang. Cela intervient avec une autre coupe, que Jésus ajoute à la fin du repas (Luc 22, 20) : « Il prit le vin, le bénit, et le donna à ses disciples ».
Jésus ajoute la bénédiction d’une cinquième coupe à ce repas pascal
Donc on est bien dans un repas pascal. Jésus s’intègre complètement dans ce repas de Pâque, mais est-ce qu’Il s’arrête là ? Évidemment, si je vous pose la question, c’est que non ! En fait, au milieu de ce repas pascal, Il va ajouter quelque chose. En fait, la majorité des Juifs bénissaient 4 coupes pendant le repas, 4 coupes de vin. Et une partie des Juifs bénissait une cinquième coupe. Et cette cinquième coupe, c’était la coupe d’Élie ! Et la coupe d’Élie, – vous savez, Élie, c’est le prophète qui est monté aux cieux dans son char de feu, et qui doit revenir ! On ne sait pas quand… mais il doit revenir. Et il se trouve que c’est peut-être lui le Messie -, on l’appelle la coupe d’Élie ou la coupe du Messie. Certains théologiens pensent qu’il est bien possible que Jésus ait ajouté ce rite nouveau sur cette coupe du Messie, parce qu’Il a été jusqu’alors très fidèle au repas de la Pâque, et là, soudainement, Il ajoute quelque chose. Cette coupe d’Élie, cette coupe du Messie, normalement, on ne la buvait pas. On attendait le retour du Messie. Et là, Jésus la boit ! C’est quand même génial ! On attendait le retour du Messie et voilà que Jésus, Lui, Il prend cette coupe d’Élie, la coupe du Messie, et Il la boit et la fait boire ! De fait, le Messie est là.
Le repas de la Pâque est un mémorial de la libération du peuple
Ce repas de la Pâque, le but de ce repas, c’est de faire mémoire de l’événement de la libération du peuple. J’arrive ainsi sur une deuxième dimension de ce repas pascal, – nous venons de voir les aspects techniques et pratiques montrant que Jésus a vraiment vécu un repas pascal -, ce repas pascal est un “mémorial”.
“Mémorial” est à entendre au sens chrétien du terme. Quand on dit mémorial, il ne faut pas penser tout à fait à la même chose que le mémorial pour les morts de la guerre. Le mémorial dans le langage laïc ou commun, c’est avant tout un édifice commémoratif en pierre sur lequel on inscrit le nom de nos morts. Ce sont nos monuments aux morts, nos mémoriaux… Là, le mémorial, au sens chrétien et au sens juif, est tout autre. Cela vient du mot “Zikaron”, en Hébreu. C’est le même mot qui a donné Zacharie, le prophète Zacharie, le papa de Jean-Baptiste. Zacharie, c’est celui qui fait mémoire. Ce mémorial, chez les Hébreux, chez les Juifs, c’est vraiment une notion qui indique que, quand on le célèbre, l’événement est rendu présent. En fait, nous faisons mémoire de la libération d’Égypte et dans le même temps, nous sommes en train d’être libérés.
La ‘Berakah’, prière de bénédiction faite sur les coupes
Pour comprendre la messe, il faut percevoir cela. Chaque fois que nous célébrons la messe, nous célébrons une action concrète qui se passe en l’an 2018, un mardi soir, avec un certain nombre de personnes, mais nous avons fait mémoire d’un événement, et cet événement a eu lieu pour nous à cet endroit-là. Il est rendu présent réellement, concrètement. Cela implique que l’action de Dieu est un acte concret, actuel. L’action se passe en ce moment. Dieu nous sauve aujourd’hui. C’est ce que les Hébreux croient lorsqu’ils célèbrent le repas de la Pâque. “Je célèbre le repas de la Pâque parce que Dieu me libère aujourd’hui ”. Et la bonne manière de faire ‘Zikaron’, de faire mémorial, c’est par des prières qu’on appelle des ‘Berakah’, ce qui signifie bénédiction. ‘Berak’, c’est le béni. ‘Berakah’, c’est la bénédiction. ‘Berakhoth’ au pluriel. Mais la ‘Berakah’, c’est une bénédiction. Et c’est une bénédiction qui est une action de grâce, un remerciement… Et action de grâce, vous connaissez ce mot : en grec on le dit ‘Eucharistie’.
Le repas de la Pâque, est ainsi une grande succession de ‘berakah’ sur chaque coupe, sur chaque plat… On bénit le Seigneur.
L’exomologèse ou la parole de bénédiction
Un autre petit passage que le cardinal Barbarin aime beaucoup commenter, c’est ce passage en saint Luc (10, 21) où les disciples rentrent de prédication. Ils sont très heureux de ce qu’ils ont fait. “ah, c’était génial. On a libéré des gens qui étaient possédés. On a guéri des malades… Vraiment, c’était trop fort !” Et Jésus à ce moment-là, dit, et là, on a un problème en français parce que c’est compliqué à traduire… Il dit : « Je te bénis, Père, car Tu as caché tout cela aux sages et aux savants et Tu l’as révélé aux tout-petits. Oui, Père… ». Et en fait, ce mot ‘je te bénis’, c’est une traduction très faible du mot grec qui figure dans les notes en bas de page de la Bible… En latin, ‘je te bénis’ a été traduit par ‘je te confesse’, confiteor, qui n’est pas pleinement satisfaisant. Ça ne fonctionne pas très bien. En grec, c’est un mot savant. C’est : ‘exomologèse’. Alors qu’est-ce que ça veut dire ? Ex, c’est ce qui sort de moi ; homo, c’est ce qui est la même chose, et logos, c’est la Parole. Donc, quand Jésus s’exclame comme cela, Il parle au Père et Il lui dit : “Père, de moi sort une parole qui est la même que celle que tu m’as dite”. “Tu m’as béni, je te bénis”.
Jésus, champion de l’exomologèse
L’Eucharistie, fondamentalement, ainsi que toute ‘berakah’, c’est cela : “Tu m’as béni, Père, et je te bénis en retour. Avec les mots mêmes que Tu m’as dits ”. En résumé : “Moi, je n’arrive pas à parler tout seul, il faut que Tu me donnes les mots ”. Voilà comment comprendre l’exomologèse.
Et de fait, lorsque je me confesse, je peux penser à cela d’ailleurs. Je dis à Dieu des mots de bénédiction. Je confesse sa miséricorde… en lui dévoilant les méchancetés, les ‘mochetés’ de ma vie. Une des dimensions du sacrement de réconciliation, c’est que pendant que je suis réconcilié, je proclame Sa gloire. De fait, dans les traductions, il y a aussi : “je proclame Ta louange”. “Père, je proclame Ta louange, car Tu as caché cela aux sages et aux savants et Tu l’as révélé aux tout-petits”. Jésus le fait constamment. Il est celui qui est le mieux capable de réaliser cette exomologèse. Cette bénédiction, s’il y en a un qui sait la faire, c’est Lui ! Parce que, comme un homme, Il va bénir et comme Dieu, Il connaît parfaitement son Père. Il est capable de dire exactement les mots que son Père lui a dits. À l’Amour que son Père lui donne, il lui rend tout l’Amour qu’il lui doit.
Nous, quand nous recevons l’Amour, et ce, même entre nous, quand nous donnons de l’Amour, nous ne sommes pas certain de recevoir ce que l’on attend. On n’est pas très bons en échanges d’Amour. C’est pour cela que l’on travaille sur les langages de l’Amour (titre d’un ouvrage célèbre de Gary Chapman), etc… parce que nous nous rendons compte que nous sommes en permanence en décalage dans l’acte d’aimer, et que nous avons besoin de le travailler.
Entre le Père et le Fils, l’Amour est absolument naturel. Donc le Père, Il donne tout son Amour et le Fils, Il redonne tout son Amour. Il n’y a pas de décalage. Donc le Fils, Jésus, est celui qui est le plus capable de bénir, de faire la ‘berakah’, d’accomplir cet acte de bénédiction, de confession, d’exomologèse.
Exomologèse, en grec, contient Logos. En hébreu, c’est un autre mot qui est sous-entendu. C’est ‘Davar’, la Parole en hébreu. Mais c’est un mot, – quand on utilise ce mot en hébreu -, qui est non seulement une Parole, mais aussi un acte. En fait, la Parole de Dieu, la ‘davar’ de Dieu, elle est efficace. Elle accomplit ce pour quoi elle est faite. « Que la lumière soit. Et la lumière fut ». D’ailleurs en hébreu, c’est : « que la lumière. Et la lumière ». Donc la Parole de Dieu est une parole efficace, performative. Et finalement, quand Dieu le Père parle au Fils, cela s’accomplit. Et inversement, quand le Fils répond au Père, cela s’accomplit aussi. Cet Amour est réel.
Un repas pour faire mémoire des actions merveilleuses de Dieu
Lors de ce repas de la Pâque, les Juifs, depuis toujours, bénissent Dieu pour ses actions merveilleuses. Ils dressent la liste, d’ailleurs, de tous les actes merveilleux. C’est pour cela qu’on a rappelé pourquoi on a quitté l’Égypte, pourquoi on a franchi la Mer rouge… C’est pour cela encore que l’on a lu les différents passages de l’Exode, du Deutéronome, du livre des Nombres… En fait, ce sont des textes que l’on entend en ce moment pendant les messes de semaine (5e semaine de carême). Comment les Hébreux ont récriminé et comment ils se sont retrouvés avec les conséquences de cette récrimination ; Comment Dieu vient les sauver quand-même …
Nous faisons donc mémoire et nous proclamons les merveilles de Dieu.
Dans la messe chrétienne, il y a une prière eucharistique qui est très éclairante : c’est la Prière Eucharistique 4. C’est celle que l’on connaît le moins, parce que c’est celle que l’on dit le moins. Pour une raison simple, c’est qu’on ne peut la dire que pendant le temps ordinaire. Cela réduit tout de suite les occasions à six mois environ. Et comme elle est plutôt plus longue que la moyenne… Je pense que si je la prenais tous les dimanches, j’aurais des retours !
Cette prière eucharistique n°4 fait la liste des merveilles de Dieu dans le monde : de la création jusqu’à la rédemption, jusqu’à l’Esprit que Dieu envoie dans le monde pour transformer nos cœurs de croyants.
Voilà, nous venons de parler de ‘Zikaron’, le mémorial, et de la ‘berakah’, la bénédiction.
« Accueillez et mangez-en tous ! »
La particularité de ce qu’a fait Jésus, – parce que pour l’instant, j’en suis resté au repas de la Pâque juive, mémorial du repas pris un peu en urgence le 14 Nisan de l’an 1200 avant Jésus-Christ lorsqu’il fallait fuir Pharaon et l’Égypte -, réside dans cette parole de consécration sur le pain et le vin.
Jésus donc, pendant ce repas, prend du pain et fait une bénédiction toute particulière : « Il le bénit, le rompit et le donna à ses disciples en disant : prenez – alors il y aurait des heures de travail sur ce ‘prenez’. En grec, c’est λαβετε (labete), ça veut dire à la fois ‘prenez’ et ‘accueillez’, ‘recevez’. C’est le même mot qu’on trouve lorsque Jésus dit à Marie : « voici ton fils » et au disciple bien-aimé : « voici ta mère. Et le disciple l’accueillit – ou la prit -, chez lui ». C’est le même mot à cet endroit-là que dans la consécration : “prenez et mangez-en tous. Accueillez et mangez-en tous”. Donc c’est un mot qui peut s’appliquer à une chose, ou qui peut s’appliquer à une personne-.
Le mémorial d’un événement qui n’a pas encore eu lieu !
Donc, Jésus dit : « prenez et mangez-en tous, ceci est mon corps ». Dans l’Évangile, on a ‘ceci est mon corps’ tout court. C’est saint Paul qui ajoute : « livré pour vous ». Et là, Il fait une chose absolument étonnante, dont les Juifs n’avaient absolument aucune idée, et dont les disciples ne perçoivent pas la portée. À ce moment-là, les disciples ne comprennent pas ce que fait Jésus. Parce qu’en fait, Jésus est en train de faire mémorial, de rendre présent un acte qui n’a pas encore eu lieu. Il est en train de rendre présent ce qui va se passer le lendemain. « Ceci est mon corps », et sur la dernière coupe : « ceci est la coupe de mon sang, le sang de l’Alliance nouvelle et éternelle ». Et là, Il annonce clairement, Il se place dans la logique de Jérémie (31, 31) et d’Ézéchiel (26,…). “J’établirai avec vous une alliance nouvelle et éternelle. Ce ne sera plus gravé sur les tables de pierres, mais cela sera gravé directement sur votre cœur. Je changerai vos cœurs. De cœur de pierre, vous passerez à cœur de chair, etc…”. Cette annonce d’une nouvelle Alliance que Jésus livre, c’est maintenant ! On change de qualité. Ce n’est plus une Loi qui vous est donnée de l’extérieur, c’est : “vous êtes remplis de mon Amour. Prenez, et mangez-en tous. Prenez. Buvez-en tous. Ceci est la coupe de mon sang, le sang de l’Alliance nouvelle et éternelle versée pour vous et pour la multitude ».
Jésus invente, prolonge la prière de bénédiction
Il y a quelque chose de vraiment nouveau dans ces paroles de consécration. Et l’on peut être à peu près certain que les disciples n’ont rien vu. Peut-être se sont-ils dit : “tiens, Jésus invente…”. Il y avait peut-être l’un ou l’autre qui était un petit peu rubriciste et qui a fait : “Aarhh !”. Mais Jésus invente.
Nous avançons dans ce repas, on intercale des psaumes et on termine par ce qu’on appelle le grand ‘Hallel’, qui sont les psaumes 112 à 117. On les lit tous à la suite, ce qui est mentionné dans l’Évangile selon saint (Matthieu 26, 30), où Jésus vient d’instituer l’eucharistie, il est dit ensuite : « après le chant des psaumes, – donc on a chanté, 112, 113, 114, 115, 116 et 117 -, ils partirent pour le mont des oliviers ».
C’est alors que l’on entre dans la Passion. Jésus a donné son corps et son sang. Autrement dit, Il a donné sa vie. Chez les Hébreux, c’est très net, quand on parle de corps et de sang, cela veut dire la vie entière. Il a donné Sa vie, et commence le moment où ce don devient concret. “D’une certaine manière, Il avait signé le chèque et celui à qui il a donné le chèque est en train d’aller le poser à la banque”. Nous entrons alors dans ce moment étonnant… où Jésus finalement, dans son don, se retrouve seul. Ils étaient trois à qui Il avait demandé d’être là, près de Lui, et ces trois-là se sont endormis : « vous n’avez pas pu veiller une heure avec moi » (Matthieu 26, 40). Les gardes arrivent… – Il avait donné un message d’Amour -, et au lieu de cela, un disciple, – le plus proche ! -, sort son épée et coupe une oreille ! “Il n’a rien compris !”. Puis tout le monde s’enfuit. Il y a même un jeune homme qui part et qui se retrouve tout nu. Saint Marc a priori…
Jésus va passer la nuit dans son cachot, Il va être présenté à Pilate… puis on le flagelle, on le couronne d’épines et Il se retrouve seul sur le chemin de la croix, et Il est là sur la croix, seul, au point de crier : « mon Dieu, mon Dieu. Pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Matthieu 27, 46), qui est un cri de détresse, tout en sachant que c’est en même temps un acte de confiance absolue en Dieu, parce que ce psaume, – c’est le psaume 21 qui commence par ‘mon Dieu, mon Dieu. Pourquoi m’as-tu abandonné ?’ -, il est en trois parties et la troisième partie commence par : « tu m’as répondu, et je chanterai Ton nom au milieu de l’assemblée ».
Les sept dernières paroles du Christ en croix
Donc, on entre dans cette Passion, dans cette offrande… Vous connaissez les sept paroles du Christ en croix. Si nous les cherchons tous ensemble, nous devrions arriver à en trouver quelques-unes quand même ! (Dans l’assistance) « J’ai soif… ». (Il reprend) « J’ai soif ! ». C’est intéressant d’ailleurs de voir laquelle on retrouve en premier, parce que c’est souvent celle qui nous touche et il y a souvent une raison. Ça mérite de réfléchir un quart d’heure à cette question : “pourquoi suis-je touché par cette parole-là ?” (Un autre). « Père, pardonne-leur. Ils ne savent pas ce qu’ils font ». (Il reprend) : « Père, pardonne-leur. Ils ne savent pas ce qu’ils font ». (Un autre encore) « Mon père, pourquoi m’as-tu abandonné ? ». (Il reprend) « Mon Dieu, mon Dieu. Pourquoi m’as-tu abandonné ? Eli, Eli, lama sabachtani ! » (En fond de salle) « Tout est accompli ». (Il reprend) « Tout est accompli ». (Un autre) « Aujourd’hui, avec moi, tu seras au Paradis ». (Il reprend) « Aujourd’hui, avec moi, tu seras au Paradis ». « Femme, voici ton fils. Et voici ta mère ». Il en manque une ? … Je l’ai dit tout à l’heure… « Père, entre tes mains je remets mon esprit ». Et de fait, il y a toute une théologie… le cardinal Journet, – prêtre à l’époque et mort maintenant -, avait fait une retraite entière de sept jours sur les sept paroles du Christ en croix. Donc il y a un peu de matière !
L’acte d’offrande de Jésus
Dans ces paroles-là, il y a de tout. Mais celle sur laquelle je veux revenir, c’est l’acte d’offrande que fait Jésus. Offrande : « Père, entre tes mains je remets mon esprit ». Acte d’offrande : « Père, pardonne-leur. Ils ne savent pas ce qu’ils font ». Et encore acte d’offrande : « Aujourd’hui, avec moi, tu seras au Paradis ». Ce sont trois dimensions de l’acte d’offrande du Christ. En fait, c’est la croix, à la base un supplice qui, généralement, n’est pas choisi. Nous reviendrons sur la notion de sacrifice.
Nous disons que la croix, le Vendredi Saint, c’est un sacrifice. Et nous disons même, – dans la Lettre aux Hébreux et dans saint Augustin et les pères de l’Église qui ont suivi -, que le sacrifice où le prêtre sacrifie, c’est le Christ. L’autel sur lequel Il est sacrifié, c’est le Christ ! Et la victime qui est sacrifiée, c’est le Christ ! Cela est un peu difficile à comprendre…
Abraham et Isaac : l’essence du sacrifice, c’est offrir
Qu’est-ce que ça veut dire ? Qu’est-ce que c’est qu’un sacrifice, d’abord ? Des sacrifices, on en a plein dans l’Ancien Testament. On en fait beaucoup, d’animaux surtout. Mais pas seulement. On peut aussi sacrifier du pain, on peut sacrifier des plantes, on peut sacrifier de l’encens ! Le sacrifice de l’encens, c’est un vrai rite dans le temple de Jérusalem. Non. Dans la tradition hébraïque, on ne peut plus sacrifier des enfants. De fait, le récit d’Abraham, se situe avant les Hébreux. Abraham, c’est justement le moment où Dieu dit : “je veux bien qu’on m’offre tout, mais pas vos enfants”. Et en même temps, on parle toujours du ‘sacrifice’ d’Abraham ou du ‘sacrifice’ d’Isaac. Parce que, – et ça, c’est saint Thomas d’Aquin qui y a réfléchi -, parce que en fait, pour Abraham et Isaac, c’était un vrai sacrifice. Parce que ce qui fait le cœur, l’essence du sacrifice, ce n’est pas le fait que ça saigne, c’est pas le fait qu’il y ait un mort, ce qui fait l’essence du sacrifice, c’est le fait d’offrir. C’est le premier point.
Sacrifice de communion et sacrifice d’holocauste
Et après, saint Thomas ajoute : “mais nous, nous sommes des hommes. Dans notre offrande, si on n’a pas tout donné, on n’a rien donné” ! Dans les sacrifices d’animaux, – il y avait plusieurs types de sacrifices. Il y en avait deux principaux :
Donc dans le sacrifice, dans l’Ancien Testament, l’essentiel n’est pas dans le sang qui coule, mais il est dans l’offrande faite. Et donc Abraham a vraiment fait l’offrande de son fils. Il a donné son Fils à Dieu. Et Dieu lui a dit : “il n’y a peut-être pas besoin de le tuer. C’est bon. J’ai bien compris que tu me le donnais”. Et de fait, après cela, tous les premiers-nés, – cf. l’histoire de Moïse -, tous les premiers-nés sont offerts à Dieu. Et de fait, les parents se dessaisissent de l’enfant. Et Dieu leur dit : “Bon. Vous pouvez le garder. Je vous le confie. Vous en serez les gardiens”. C’est exactement ce qui arrive à Moïse. La mère de Moïse, en le déposant au fleuve fait confiance à Dieu, – Il n’était pas certain que la fille du Pharaon le recueillerait -, et encore moins sûr que la fille du Pharaon lui confierait à elle.
Donc l’essence du sacrifice, c’est l’offrande qui est faite.
Dans l’acceptation de sa Passion, le Christ fait l’offrande de sa vie
Jésus est pris par des gardes qui veulent sa mort. On l’agresse et on lui veut du mal. Il aurait pu faire comme à peu près chacun de nous dans ce cas-là : ne pas être d’accord, résister, ne pas vouloir se rendre. Et il se trouve que Jésus fait le choix d’entrer dans une acceptation de cette souffrance, de cette douleur, de ce meurtre qui est en train d’être commis à son égard. Dans cette acceptation, il fait offrande de Sa vie. C’est quelque chose que l’on a du mal à comprendre. C’est quelque chose qu’il est important de saisir quand même, parce que c’est ce qu’on est invité à faire, nous, lorsque nous tombons malade. Nous sommes bien sûr invités à nous soigner. Mais il y a des douleurs pour lesquelles on ne peut rien. Nous sommes alors invités à les transformer en un acte d’Amour. Comme nous ne pouvons pas y parvenir seul, il y a un sacrement spécial pour cela : le sacrement des malades. Il permet de transformer cette souffrance, qui n’a pas de sens, – parce que la souffrance, c’est la mort et ça n’a pas de sens. C’est quelque chose qui s’oppose au projet de Dieu -, eh bien par l’Amour du Christ, par la vie du Christ, qu’Il nous donne, on devient capable de la transformer en un lieu fécond.
Les trois destinations de l’offrande de la vie du Christ
Jésus entre dans sa Passion, accueille sa Passion, accueille la Mort qui vient, – c’est toute l’agonie -, et quand la croix vient, Il la prend. Il la porte. Il l’accueille. Et lorsqu’Il tombera, Il se relèvera. Et sur la croix, Il va faire son offrande. Son offrande a trois destinations.
Premièrement, ultimement, c’est le dernier mot qu’Il dit, – mais c’est là la première cible -, l’offrande qu’Il fait va au Père.
Deuxièmement, l’offrande qu’Il fait, elle est pour tous ceux qui sont là, et en particulier pour ceux qui ne l’aiment pas et qui sont en train de le maltraiter… « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font ». Et nous savons que son pardon est efficace parce que le centurion qui l’a reconnu comme fils de Dieu, maintenant nous l’appelons saint Longin. Il en est de même avec Simon de Cyrène dont rien ne nous dit que sur le moment, il était heureux de porter la croix, – en fait, il y a de bonnes chances qu’il n’ait pas été particulièrement heureux -, eh bien nous savons qu’il est le père de Rufus et d’Alexandre qui sont connus dans la communauté des chrétiens romains. La parole de Jésus est efficace. « Père, Pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font ». Au point qu’un certain nombre vont être touchés au cœur, exactement comme Paul quelques années plus tard, lors de la lapidation d’Étienne, qui dira les mêmes mots : « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font » Et de fait, il faudra un ou deux ans pour que Paul soit retourné, (dans le sens de converti) à son tour.
Jésus offre sa vie au Père. Il l’offre pour ceux qui le maltraitent.
Et enfin, Il l’offre aussi pour celui qui est à côté de lui sur la croix. Qui, peut-être, a dû aussi le maltraiter puisque les évangélistes Marc et Matthieu disent : “les bandits accrochés à côté de Lui l’insultaient”. Alors que chez saint Luc on parle d’un bandit qui l’insulte et de l’autre qui se convertit. Mais est-ce qu’il n’avait pas commencé par l’insulter ? Nous ne savons pas… Le bon larron, c’est le plus grand voleur du monde. Il a tout volé dans sa vie, même le paradis (citation de saint Augustin).
Le Christ offre sa vie à tous, à ceux qui l’aiment, à ceux qui l’aiment pas, et Lui sa vie, Il l’offre au Père. C’est intéressant de voir dans quel ordre. « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font », c’est pour vous. « Avec moi, tu seras au paradis », c’est pour toi et “père, je t’offre ma vie” (Père, en toi je remets mon esprit). En fait, dans sa mort, Il a établi une connexion avec tous ceux qui acceptent cette connexion. Et en fait, en offrant Sa vie au Père, Il emmène tous ceux qui sont connectés à Lui.
Troisième point : l’eucharistie comme mystère de la présence du Christ, de la présence de Dieu.
« Le Christ est mort ». On l’a accompagné pendant qu’Il offrait Sa vie au Père. Mais Il est mort. Il est tellement mort que tous ses amis pensent que c’est fini. La Tradition nous dit que seule la Vierge Marie gardait l’espérance et la foi. Mais cette foi ne devait pas être très formée. Elle savait que ce n’était pas fini, mais comment ça allait continuer ensuite… Au point que les disciples d’Emmaüs, alors qu’ils ont déjà entendu parler les femmes qui ont dit qu’elles avaient vu Jésus, repartent tout tristes : “pfff, c’est nul ! On croyait qu’Il serait sauveur d’Israël et en fait, Il est mort comme un bandit…”.
Les disciples d’Emmaüs
Et voilà, justement : Emmaüs ! Qu’est-ce qui se passe ? Jésus les rejoint sur le chemin, les accompagne alors qu’ils s’éloignent de Jérusalem. Il leur commente toutes les Écritures. « Et Il leur montrait qu’il fallait que le Christ meure » (Luc 24, 26). Ils s’arrêtent dans une maison « et ils le reconnurent à la fraction du pain ». Et là, cette fraction du pain, on peut être convaincu d’une chose, c’est qu’il a refait la bénédiction comme Il l’avait faite le jeudi soir. « Il prend le pain. Il le bénit. Il le rompt et le donne à ses disciples… Et ils le reconnurent et Il disparut à leurs yeux » (Luc 24, 31). Parce que, ça y est ! Il a pu entrer dans leur cœur, donc il n’a plus besoin d’être visible à leurs yeux ! Il est présent ! Et réellement, et substantiellement dans ce corps du Christ donné, dans ce sang du Christ donné, dans le fait qu’Il a trouvé sa maison dans leur cœur. Il disparaît donc à leurs yeux parce que ses disciples n’ont plus besoin de le voir. Ils savent qu’Il est vivant. Ils sont alors envoyés. Ils repartent en courant à Jérusalem en disant : « Arh ! On vient de le voir, c’était génial !”. C’est gratuit…
La messe, comme sacrement de la présence
Et en fait, la messe… Qu’est-ce que c’est donc que cela ? Nous nous retrouvons ; le Christ vient à notre rencontre. Nous écoutons la Parole de Dieu. Parfois une bonne tranche… Ensuite, nous nous faisons expliquer les textes et enfin, nous regardons Jésus en train de prendre le pain, de le bénir, de le rompre en disant à ses disciples : « prenez et mangez-en tous. Ceci est mon corps… » Et là, nous le reconnaissons à la fraction du pain. Il est là. Et nous l’accueillons dans notre vie, dans notre cœur.
Vraiment, le sacrement de la présence, c’est cela. C’est Jésus vivant qui se donne à nous, concrètement, substantiellement, pour que nous puissions vivre de Lui. Et après, pour sortir de l’église : « allez dans la paix du Christ », – très mal traduit, comme vous le savez -, “allez porter la paix du Christ au monde et en avant, quoi ! ” Quelle bonne nouvelle ! Il est là. Il nous sauve.
La messe comme lieu de re-présentation du mystère pascal
La théologie chrétienne va nous dire que la messe, c’est le lieu de la re-présentation du mystère pascal. Non pas la représentation comme une pièce de théâtre où on refait les mêmes gestes, mais au final, c’est chaque fois une chose différente. C’est présenter à nouveau le mystère pascal.
Chaque fois que nous célébrons la messe, on tire un rideau, et là, on se retrouve en l’an 30. Si vous fermez les yeux pendant que le prêtre dit : « ceci est mon corps. Ceci est mon sang », vous êtes au jeudi soir de la Cène, vous êtes en même temps au pied de la croix quand le fils dit l’une de ces paroles, – et à chaque messe on peut changer : « j’ai soif » ; « en toi je remets mon Esprit »… -, et en même temps, on se retrouve sur le chemin d’Emmaüs, et en même temps, on se retrouve à l’Ascension, et en même temps, on se retrouve le matin de Pentecôte où les disciples se retrouvent enfermés au Cénacle et que Jésus est là au milieu d’eux et leur dit : « la paix soit avec vous ».
La messe comme un seul sacrifice, celui du Christ
La messe, comme une re-présentation de cet événement unique. Finalement, il n’y a qu’un seul sacrifice, celui du Christ, qui commence le jeudi soir par le mémorial d’un événement qui a lieu effectivement, se poursuit le vendredi saint et qui se continue, se déploie, se révèle tout entier dans la résurrection. Cet événement-là du mystère pascal, il nous est rendu présent par la messe. À chaque messe, c’est cela qui est devant nous ! Il ne nous reste alors plus qu’à tomber… Oui, tomber à genoux comme le fait saint Thomas, présent lors de la deuxième apparition du Christ ressuscité. On peut penser d’ailleurs qu’à cette occasion également, il y a une histoire de pain et de vin… Il leur dit : « la paix soit avec vous ! ». C’est le début de la messe. Et après, Thomas tombe à genoux et dit : « mon Seigneur et mon Dieu ». On a le droit de faire cela aussi, quand on le reconnaît…
Et Marie-Madeleine ! Au bord du tombeau, Jésus apparaît. Elle le prend pour le jardinier. Et tout à coup elle le reconnaît, tombe à genoux et dit : « rabbouni », « maître ! ». Chacun peut prendre son expression préférée. Le cardinal, – puisque je m’inspire largement de lui -, le cardinal dit “pour les enfants, vous pourriez dire : mon Seigneur et mon Dieu pour les petits garçons et Rabbouni pour les filles”. Si je suis un garçon et que je veux dire Rabbouni, je peux aussi !
La messe, ce n’est pas la théologie du Roi Lion
Cela est ancré. C’est dans la Bible. C’est la Parole de Dieu. Donc c’est de la bonne Parole. Cette réalité, ce réalisme, que la présence du Christ dans l’Eucharistie, n’est pas qu’une façon de parler, ce n’est pas simplement parce qu’on y croit et que, comme on y croit bien fort, c’est suffisant… Ce n’est pas non plus de la théologie du Roi Lion. La théologie du Roi Lion, c’est : “voilà. Il est mort, mais Il est toujours présent dans ton cœur et tu le verras dans les étoiles”. Non. C’est plus vrai que ça. Lorsqu’on voit la théologie du Roi Lion, et qu’on le vit, on sait que ce n’est pas vrai.
Non, c’est plus vrai que ça. Et d’ailleurs, je ne sais pas si vous avez vu le dernier dessin animé de Disney, Coco : C’est la fête des morts au Mexique et en fait, le pitch, l’essence du dessin animé, c’est de dire que celui qui est mort reste vivant dans un monde des morts tant qu’on pense à lui. Et le jour où le dernier qui pense à lui meurt, à ce moment-là, il disparaît… Mais c’est terrible comme théologie : il n’y a aucune espérance là-dedans, parce que tôt ou tard, on va être oubliés. À part Alexandre le Grand et Napoléon. Et encore…
Le réalisme de l’eucharistie : la parole de Dieu est efficace
Notre espérance chrétienne va beaucoup plus loin. D’abord, si on reste dans cette idée-là, on sait que Dieu, Lui, pensera toujours à nous. Et concernant la présence du Christ, c’est Sa parole qui est efficace, ‘davar’, quand Il dit : « ceci est mon corps », cela advient de la même façon que le jour où Il a dit : « que la lumière soit », cela est advenu. Cette parole, la Parole de Dieu, elle est efficace. Elle est tellement efficace que le jour où Il en a parlé, c’était après la multiplication des pains au chapitre 6 de saint Jean. C’est un grand chapitre. C’est long. Il leur dit : “en vérité, vous me cherchez non pas parce que vous avez eu des signes, mais parce que vous avez mangé… Comme vous avez bien mangé, vous me cherchez. Ce n’est pas cela qui devrait vous réveiller”. « « En vérité, je suis le pain de vie, qui vient à moi n’aura jamais faim, qui croit en moi n’aura jamais soif« . Les Juifs se mirent alors à murmurer à son sujet parce qu’Il avait dit : je suis le pain descendu du Ciel. Comment peut-Il dire : je suis descendu du Ciel ?» (Jean 6, 35). Jésus continue. Il continue à leur expliquer. « Et Il leur dit : je suis le pain vivant descendu du Ciel ; qui mangera ce pain vivra à jamais, et même, le pain que je donnerai, c’est ma chair pour la vie du monde. Alors les Juifs se dirent : comment peut-Il nous donner sa chair à manger ? En vérité je vous le dis, si vous ne mangez la chair du Fils de l’Homme et si vous ne buvez pas son sang, vous n’aurez pas la vie. Qui mange ma chair et boit mon sang à la vie éternelle. Je le ressusciterai. Ma chair est vraiment une nourriture et mon sang vraiment une boisson. Qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui ». Après avoir entendu beaucoup de disciples dire : “qu’elle est dure, cette parole ! Qui peut l’écouter ? Qui peut le croire ! Et beaucoup arrêtèrent de le suivre”. Est-ce que Jésus dit : “attendez, c’était une façon de parler”. Non. Il se tourne vers ses disciples et Il leur dit : “et vous ? Vous allez me quitter vous aussi ?” Et Pierre répond courageusement : “Non, c’est Toi qui a les paroles de la vie éternelle” (Jean 6, 68). Mais le réalisme de l’eucharistie, ce pain qui est corps du Christ, et ce vin qui est sang du Christ, ce n’est pas une façon de parler. C’est réel, concret. Cette présence de Dieu : c’est Lui qui nous la dit. Et je pense qu’on peut Le croire.
La communion, pour entrer dans le mouvement du Christ
Nous sommes donc passés par le Jeudi Saint, par le Vendredi Saint, et par la résurrection, à la présence du Christ. Revenons un instant au moment du Jeudi Saint. Si l’on a beaucoup dit sur le repas du Jeudi Saint, on a peu dit de la Communion, qui est essentielle. La messe, c’est une action du Christ. C’est le Christ qui est sacrifié. C’est le Christ qui donne sa vie. C’est Lui qui fait tout. Il fonde l’Église qui va pouvoir reproduire les gestes qu’Il a faits, re-présenter à nouveau ce sacrifice chaque jour pour que nous, on puisse en vivre.
La communion, c’est la main que nous tend le Christ en nous disant : “ben, viens ! Allez. Entre dans mon mouvement. Allez. Viens. On va vivre cela ensemble. Et pourquoi ? Pour ta joie. Pour ton bonheur. Pour que tu puisses faire ce pour quoi tu es fait, pour que tu puisses aimer”. Et moi, la communion, je la vis. Je m’approche pour recevoir cette communion de Lui. C’est Lui qui m’unit à Lui d’abord. Communion. Unir avec. Je suis d’abord uni à Lui. Mais parce que je suis uni à Lui et parce que mes frères sont unis à lui aussi, nous sommes unis les uns avec les autres. C’est dans ce sens-là que cela fonctionne. C’est le Christ qui nous unit. Mais Il ne le fait pas seulement dans la communion eucharistique et sacramentelle. Dès le début de la messe, lorsque l’on entonne le chant d’entrée, on comprend qu’on est déjà uni par Lui. Nous devons toujours garder en mémoire, que c’est Lui qui nous unit. Ce n’est pas nous qui allons nous unir, et du coup, puisque l’on est unis, on va pouvoir rendre le Christ présent. Non. C’est Lui qui est présent et qui nous unit, à Lui et les uns aux autres, pour que nous formions un corps. C’est la finalité de l’eucharistie. Le but, c’est de faire de nous des membres vivants de ce corps.
Par la communion, tous membres d’un même corps
Saint Thomas a beaucoup réfléchi là-dessus, c’est très intéressant de voir qu’au XIIIe siècle, il a tout compris ! Il est mort à 42 ans en ayant écrit trois ou quatre bons rayons de bibliothèque, et il avait perçu, – et il a trouvé les mots pour exprimer -, avec la plus grande précision, l’eucharistie. Finalement, c’est ce corps du Christ qui nous est donné sous l’apparence du pain, car ce n’est plus du pain, c’est le corps du Christ, et le fait que nous communions à ce corps fait de nous des membres de ce corps. Et en conséquence, l’union, elle est là ! La communion, elle ne vient pas de moi. Par contre, elle ne peut se transformer et être réelle qui si j’y adhère, que si je l’accueille… le mot prendre-accueillir. Il faut que je la veuille, cette communion. Si j’espère un acte magique de Dieu envers moi, cela ne va pas fonctionner. Ce n’est pas magique. Si je communie, que je mange l’hostie et que je n’ai aucune intention de m’unir au Christ… cela ne sert à rien, vraiment. C’est même contre-productif. Vous connaissez la parole de saint Paul… (1 Co 11, 27)
Saint Paul : la transmission du kérygme
Saint Paul a une parole dans 1 Co, 11. Saint Paul, dit à deux reprises cette parole forte : « je vous ai transmis ce que j’ai moi-même reçu ». Et c’est une parole très importante qui, en fait, est la parole qui répond à la question : “pourquoi est-ce que l’on fait cela ?”, dit l’enfant au Père le jour du repas de la Pâque. Le père commence en disant : “ce que j’ai reçu, je te le transmets à mon tour”. C’est une parole très importante qui indique que cette parole-là, elle n’est pas ‘caviardée’. On n’y a rien ajouté, rien enlevé. Et donc, il le dit deux fois. Une fois en 1Co, 15, c’est pour dire : « je vous transmets ce que j’ai moi-même reçu. Jésus le Christ est mort, a été enseveli, est descendu aux enfers et ressuscité ». Le kérygme. Le cœur de notre foi. « Jésus est mort et ressuscité, pour notre salut» (1 Co, 15). Et puis en 1Co, 11, il nous dit : « pour moi, j’ai reçu du Seigneur ce qu’à mon tour je vous ai transmis. Le Seigneur Jésus, la nuit où Il a été livré, prit du pain, après avoir rendu grâce, Il le rompit et dit : ceci est mon corps qui est pour vous. Faites ceci en mémoire de moi. De même, après le repas, Il prit la coupe en disant : cette coupe est la nouvelle alliance en mon sang. Chaque fois que vous en boirez, faites cela en mémoire de moi ». Avec saint Paul, on est quarante ans environ après les événements rapportés par les évangélistes. A priori, ils le font régulièrement. « Faites cela en mémoire de moi ». Donc ils le font régulièrement.
La messe n’est plus un repas
Paul enchaîne en disant : « ainsi quiconque mange le pain ou boit la coupe du Seigneur indignement, – autrement dit, en ne cherchant pas l’union -, aura à répondre du corps et du sang du Seigneur » (1Co 11, 27). Et pourquoi leur dit-il cela ? Parce que juste avant, il en était aux recommandations et disait : “ben, en fait, j’ai eu des nouvelles de votre façon de faire les célébrations le jour du Seigneur, et j’ai appris que…”. À l’époque, pour le repas du Seigneur, on faisait un repas avant, ensuite il y avait la bénédiction sur le pain et le vin et puis communion. Et là, il leur dit : “j’ai appris que chacun vient avec son pique-nique et que les riches, ils ont des trucs très très bons à manger. Ils sortent de là, ils sont à moitié saouls. Et les pauvres, ils sont sur leur pain sec, et tout le monde est indifférent et à la fin, vous essayez de vous faire croire que vous êtes unis. Ça ne marche pas”. Donc c’est pour cela qu’il les réprimande. C’est la raison première. C’est ainsi que très vite, parce qu’il s’agit là d’un texte qui date des années 50, et dans didachè dans les années 80, on parle de la messe, et là, il n’y a plus de repas. A priori, les abus étaient tels qu’ils se sont dits : “on passe à côté de l’essentiel de ce que nous voulons célébrer… il faut que l’on sépare le cœur de notre célébration de ce qui n’est pas essentiel”
Faire mémorial de l’offrande du Christ
Nous ne faisons plus mémorial du repas de la Pâque. Nous faisons mémorial de l’offrande du Christ. Donc le repas proprement dit, il est passé au second plan, très clairement.
Dans les 20-30-40 dernières années, il y avait une mode, – ce n’était pas une mauvaise idée -, de se dire : “tiens, le Jeudi Saint, on va refaire le repas du Jeudi Saint. On va mettre une grande table avec des nappes, des chandeliers, tout ça…” L’intention était bonne, mais nous refaisions alors le repas du Jeudi Saint. Or, ce que l’on cherche à faire quand on célèbre la messe, ce n’est pas refaire le repas du Jeudi Saint. C’est célébrer, revivre le cœur-même de ce qu’a fait le Christ : l’offrande de sa vie.
Donc par la “communion”, nous sommes connectés à Lui. Et le but, c’est d’entrer dans le même mouvement que Lui. Et qu’à la fin, avec un peu d’entraînement, – mais on peut commencer à s’entraîner dès aujourd’hui -, nous puissions dire en vérité : « Père, entre tes mains je remets mon Esprit ». C’est ce qu’on fait lorsque l’on dit les complies, tous les soirs. « Entre tes mains, Seigneur, je remets mon esprit ». Oui, il faut beaucoup d’entraînement pour arriver à le dire une bonne fois pour toutes.
On a parlé du Jeudi Saint. On a parlé du Vendredi Saint. On a parlé de la résurrection du dimanche de Pâques. Et il y a un jour dont nous n’avons pas parlé. C’est le Samedi Saint. Samedi Saint, c’est le temps du grand silence. Si vous rentrez dans une église un Samedi Saint, si les fleuristes n’ont pas fait trop vite leur travail, on arrive dans une église dépouillée… Il n’y a pas de nappes, pas de cierges, pas de croix, rien ! Si on pouvait enlever les bancs, on le ferait. Si jamais des funérailles doivent être célébrées un Samedi Saint : pas d’aube, pas de cierges, pas de chants. “On jette des cailloux sur le cercueil… Pour dire que c’est sobre”.
Donc le Samedi Saint, c’est le moment du grand silence. Je me suis inspiré entre autres de ce que le cardinal nous a prêché sur l’eucharistie la semaine dernière, lorsque j’étais en Terre Sainte, dans une chapelle attenante au Cénacle. Il a repris ces trois dimensions de communion, sacrifice, présence. Puis un confrère prêtre s’est approché de lui à la fin de la messe pour lui dire : “c’était bien, mais il y a une chose dont vous n’avez pas parlé. Vous auriez pu. C’est le silence et l’adoration du Samedi Saint” -, et donc c’est une dimension où nous pouvons reconnaître, dans le Christ silencieux, même mort d’une certaine manière, parce que le corps de Jésus, il est présent, là, mort. Pourtant Dieu, est toujours présent.
Je fais une petite digression encore : parfois les chrétiens se disent : “quand Jésus est mort, son corps reste là, mais il n’y a plus Dieu. Et Dieu est parti aux enfers, etc… ” Eh non. Parce que Dieu et homme sont absolument liés tout entiers, et Dieu, Il est lié au corps de l’homme et Il est lié à l’âme de l’homme. Donc Dieu, il est aussi au tombeau. Et Il est aussi aux enfers. Et l’homme Jésus, c’est une seule réalité, une seule personne. Mais la dimension humaine de Jésus, elle est vraiment morte. Et son corps est au tombeau et son âme est aux enfers.
Près du tombeau, il y a eu ces femmes, qui sont venues tôt le matin, pour prendre le temps de vénérer ce corps. Voilà. C’est une chose que l’on est invité aussi, à faire dans le silence. Je vais vous faire la publicité pour l’adoration du Saint-Sacrement le mardi soir et le jeudi soir. C’est aussi un acte qu’on posera Jeudi Saint, après la messe. On entre dans le silence de la nuit, dans le silence de la Passion, lorsque Jésus va au cachot. Jusqu’à 11 heures du soir, ceux qui le souhaitent pourront rester près de Jésus présent dans cette eucharistie. Pour l’accompagner. Pour être comme les disciples qui n’ont pas pu veiller une heure avec Lui. Nous, par la grâce du Saint-Esprit, – la Pentecôte nous a été donnée ! -, donc on va essayer de veiller une heure avec lui.