Par l’abbé Gaël de Breuvand
Il s’agit de la retranscription d’une prédication orale, c’est pourquoi le style reste familier. Les titres sont ajoutés après retranscription.
‘La conduite du Seigneur est étrange. La conduite du Seigneur n’est pas la bonne’. Lorsque Ézéchiel relève cette parole de ses contemporains, bah ça pourrait être un peu la nôtre aussi. D’ailleurs, c’est bien souvent la nôtre… Le Seigneur a quand même des habitudes un peu étonnantes. Et c’est une petite partie d’un texte que l’on n’a pas entendu. Cette Lettre aux Philippiens, on a entendu cette parole : ‘Il ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu’. On parle de Jésus. En grec, cette expression ; ‘Il ne retint pas jalousement’, c’est le même verbe qui a donné le mot ‘Harpagon’. L’Harpagon, c’est celui qui met la main sur ses biens, qui met la main sur sa réputation pour en être vraiment propriétaire et surtout, surtout, que les autres n’en profitent pas. Et le Christ, Dieu lui-même, n’est pas un Harpagon. Et l’expression suivante : ‘Il s’est anéanti, prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes’. Et le mot qui est utilisé pour parler de cet anéantissement, c’est le fait qu’Il se vide de Lui-même. C’est un peu étonnant… Dieu se vide de Lui-même. Il se vide de Lui-même pour quoi ? Pour se donner à nous ! Voilà ! ça, c’est le comportement de Dieu. Un comportement, oui, qui n’est pas le bon… en tout cas de notre point de vue. Parce que Dieu, lorsqu’Il s’incarne, qu’Il vient sur la terre pour se donner à nous, lorsque Jésus vit, Il vient aussi là, pour nous, comme un exemple. Et nous sommes invités à faire de même. À ne pas nous agripper à nos privilèges, et à nous vider de nous-mêmes, à accepter cela. Cette conduite du Seigneur qui est étrange, qui n’est pas la bonne, en tout cas de notre point de vue.
Vous savez, il y a cette expression : ‘seuls les imbéciles ne changent pas d’avis’. Et de fait, le premier a eu raison, de ces deux fils de l’évangile. ‘Mon enfant, va travailler aujourd’hui à la vigne. – Non, j’irai pas !’. Et puis, finalement… il y va ! Et il fait la volonté de Dieu. Oui, il est bon d’agir dans le sens de Dieu. Il est bon d’agir selon la volonté de Dieu et c’est ainsi que nous accomplissons ce pour quoi nous sommes faits. Et le second ? Alors, le second, il change d’avis aussi. Ou peut-être qu’il ne s’est pas engagé… Peut-être que sa parole ne correspondait pas à ce qu’il allait faire. En fait, il n’était pas dans la vérité. Alors, est-ce sa faute ? Est-ce qu’il est pleinement coupable ? ça, on peut pas le dire, on est pas dans son cœur. Il y a aussi les limites de chacun de nous. Vous les connaissez, hein. Nous avons un peu de mal à discerner du premier coup, ce qui est bon, ce qui est excellent, ce qui nous fait véritablement vivre. Parfois, on a un objectif qui nous est proposé et en fait, il ne nous paraît pas très intéressant ; et on préfère prendre un chemin de traverse. Peut-être qu’on a manqué de confiance à ce moment-là. Et Dieu, Lui, quand Il nous voit prendre des chemins de traverse, Il ne nous abandonne pas.
Vous savez, on pourrait avoir tendance… En tout cas, notre réaction, – c’est un peu ce qu’on entendait dimanche dernier -, notre réaction, celui à qui je demande quelque chose, qui ne le fait pas. Une fois. Bon. Et puis je lui redemande deux fois ; et il ne le fait toujours pas. Bon. Puis à la troisième fois je me lasse et j’arrête de lui demander. Et puis, du coup, je ne lui propose plus rien à faire, plus rien à vivre. Voilà. Ce n’est pas la manière de Dieu. La manière de Dieu ? Il ne se lasse pas. Il vient à notre rencontre. Il vient frapper à la porte de notre cœur. Et Il nous prend là où nous sommes. Il nous dit : ‘de là où tu es, j’ai un chemin pour toi. De là où tu es, j’ai un chemin pour toi. Tu peux encore me répondre oui. – Évidemment, ce ne sera pas tout à fait le même chemin que je te proposais il y a cinq ans, il y a dix ans, il y a vingt ans -, mais c’est le chemin pour toi aujourd’hui’. Dieu ne se lasse pas. Dieu ne change pas d’avis, Lui. Lui, Il sait : Il aime ! Il aime. C’est son être même. Et ça, il ne change pas d’avis, Lui. Il est miséricorde. Il veut notre joie et notre bonheur. Il ne change pas d’avis.
Dans notre vie, nous souffrons d’une maladie des yeux, – tous, à peu près -, qu’on appelle le strabisme. Vous savez, c’est quand on a un œil qui dit ‘zut’, à l’autre. Soit parce que les deux regardent un peu trop dans la même direction, soit parce qu’ils ne regardent pas du tout dans la même direction. Et du coup, on a un petit peu de mal. Et ça, c’est la façon dont nous avons… c’est l’image de notre vie spirituelle, bien souvent. Lorsqu’on regarde le ciel, lorsqu’on regarde Dieu, eh bien, on ne sait plus voir la terre. Et inversement lorsqu’on regarde la terre, on ne sait plus voir Dieu. Du coup… ben on a du mal à honorer dignement ce qu’on doit à la terre, à notre vie sur la terre en aimant pleinement, et ce qu’on doit à Dieu, aimer pleinement là aussi.
Nous avons du mal à donner tout ce que nous devons donner à Dieu, tout ce que nous devons donner aux autres. On a une petite tendance à vouloir garder la main dessus ; à être des Harpagons. A être des harpagons sur notre vie. Ce temps-là : il est pour moi, il est pas pour un autre. Cet espace-là, il est pour moi, il est pas pour un autre. Alors du coup, je me contenterai d’une vie d’honnête homme. Je ne tue pas, je ne vole pas. Globalement les gens pensent que je suis un type bien. Mais, voilà. Ça m’engage pas plus, hein. Encore heureux qu’on ne tue pas ! Encore heureux qu’on ne vole pas ! On va pas non plus être félicités pour ça, qu’est-ce qu’on attend ? Non. Ce qui est essentiel et ce à quoi le Christ nous appelle, c’est que nous choisissions cette joie. Et cette joie, il nous faut avoir, – pour l’obtenir, pour l’atteindre -, il nous faut avoir en nous les mêmes sentiments que le Christ Jésus. On les a entendus tout à l’heure. ‘Ayez les mêmes dispositions, le même amour, les mêmes sentiments ; Recherchez l’unité, ne soyez jamais intrigant ou vaniteux. Estimez les autres supérieurs à vous-mêmes. Ayez les dispositions qui sont dans le Christ Jésus’. Ne soyez pas des rapiats quant à votre vie, mais au contraire, donnez-vous ! Videz-vous de vous-mêmes ! En fait, si nous nous vidons de nous-mêmes, nous avons une espérance, une confiance absolue dans le Père qui nous aime, Il nous remplira. Pas d’inquiétudes. Voilà, c’est ça ! Le combat de la vie spirituelle, le combat du chrétien, ce n’est pas d’avoir une vie honnête, c’est d’être à l’image du Christ… À l’image du Christ !
Un pas vers le Seigneur
C’est radical comme choix, hein ? Le Seigneur ne nous propose pas un chemin bordé de lys, ou tout sent bon en permanence. Non. C’est un choix radical. Il nous faut choisir, pleinement sur quelle voie nous voulons nous engager. Nous y sommes invités dès aujourd’hui. Alors aujourd’hui, évidemment, nous ne sommes peut-être pas tous appelés au même engagement. Pas tout à fait de la même manière ; Mais pourtant, aujourd’hui, nous sommes invités à faire un pas de plus, dans Sa direction à Lui, le Christ. À Lui faire confiance.
Alors on se dit, en même temps, – dans quelques instants on va faire silence, ça va être l’occasion de méditer un peu sur cette parole, cet appel que le Christ me fait, ce choix de la radicalité. Celle qui permet aux prostituées, aux publicains de changer de vie, d’être convertis et d’être aimés de Dieu. Celle qui permettrait aux honnêtes hommes d’être amis pleinement du Christ.
Elle est compliquée cette radicalité, cet engagement… C’est impressionnant. C’est peut-être même effrayant. On a pas bien envie de faire ce pas-là. Alors il nous faut faire un acte de foi, d’espérance, de confiance. ‘Seigneur, j’ai confiance en Toi. Tu veux ma joie et mon bonheur, je crois en Ta miséricorde, sans cesse, Tu ne te lasses pas de m’aimer et Tu m’invites à t’aimer maintenant, aujourd’hui’. Alors il faut Lui demander, parce que c’est pas nous qui nous sauverons. Peut-être que, à la fin de cette homélie, on a l’impression qu’il nous faut faire pleins de trucs. En fait, il s’agit d’abord de se laisser pétrir par le Christ. Il s’agit d’abord de se laisser déposer entre Ses mains, à Lui. Et nous savons que ce sont des mains de mère, des mains de père, des mains de frère. Nous pouvons Lui faire confiance, Il nous aime ! Alors, non, ce n’est pas la bonne manière, c’est une manière bien étrange que celle de Dieu.
Et c’est celle qu’Il a choisi, celle dont nous pouvons être certains que c’est la meilleure pour nous donner la vraie joie et le vrai bonheur.