‘Je suis doux et humble de cœur’
Par l’abbé Gaël de Breuvand
Il s’agit de la retranscription d’une prédication orale, c’est pourquoi le style reste familier.
En Israël, depuis les temps très anciens, nous attendons un Messie. Et ce Messie, on a un petit peu tendance à vouloir qu’il soit un super roi. Et c’est ce que nous indique le psaume. Ce roi qui soutient tous ceux qui tombent, qui redresse tous les accablés. On le voit, montant sur son cheval de guerre et remettant les choses dans l’ordre. Et la première lecture qui est écrite quelques siècles après le psaume, le Livre de Zacharie, nous présente ce roi que l’on acclame, que l’on exalte, avec une petite caractéristique paradoxale : il n’est pas sur le cheval de guerre des rois. Il est sur un petit âne, un ânon, petit d’une ânesse. Et ça, ça, c’est étonnant. Parce que ça, c’est pas tout à fait l’image que l’on se fait d’un roi. Imaginez ! Un petit âne… Et on met quelqu’un d’1m80 ou 1m75 dessus. Bah, il a les pieds qui touchent par terre… C’est une situation un peu… presque ridicule. Et c’est ce Messie-là qui nous est annoncé. Et Jésus vient accomplir cette parole, cette prophétie. C’est d’ailleurs ce que les évangélistes ont bien vu. Puisqu’ils vont utiliser ces textes du prophète Zacharie pour nous illustrer l’entrée de Jésus à Jérusalem lors des Rameaux.
Jésus est celui qui accomplit la prophétie. Il est ce Messie qu’on attendait. Ce messie qu’on attend, il se présente à nous. Il se présente. Il se dévoile dans son intimité. Il nous donne son cœur. ‘Je suis doux et humble de cœur’. Doux et humble… Ce sont deux mots, parfois que l’on a un peu de mal à comprendre. Donc on va revenir dessus. On peut même mal les comprendre, en tout cas, d’une manière qui ne s’adapte pas à Jésus.
Douceur
Quand on dit ‘doux’, peut-être notre première image, c’est qu’on pense à des sucreries qui sont douce, ou à un gâteau qui est doux, ou… Je sais pas… à une couverture qui est douce. Une douceur séduisante, qui n’est pas forcément mauvaise d’ailleurs, mais on a besoin de la maîtriser, parce qu’elle peut nous entraîner. Puis avec quelques douceurs, on peut prendre quelques kilos. Lorsque Jésus, Lui, emploie ce terme de doux, – alors en grec, c’est plus facile : il y a deux mots pour désigner ces deux réalités -. Lorsque Jésus emploie le terme de doux, c’est pour parler d’une personne qui est délicate, attentionnée, prévenante. En fait, c’est la grande caractéristique d’un esclave, – chez les Grecs -, chez les Grecs, un bon esclave de maison, il est doux. Parce qu’il est toujours attentif aux besoins de son maître ; il va au-devant des besoins de son maître ; il ne ronchonne pas quand on lui demande quelque chose ; il se lève la nuit pour un enfant qui a la fièvre. En fait, cette douceur-là, les Grecs l’employaient pour les esclaves. Nous, on aurait plutôt tendance à l’employer pour les mamans. Alors évidemment, cette douceur-là, elle est pas très à la mode. C’est cette douceur dont on parle dans le Salve Regina. ‘Ô dulcis virgo Maria’. Ô mère toute prévenante, toute attentive, toute attentionnée… toute douce ! Oui, parce que Marie, elle suit son Fils de près ; elle l’écoute. Donc elle ressemble à son Fils, dans cette douceur-là. Une douceur de relation. Non pas pour séduire, mais pour servir. Et Jésus nous dit : ‘je suis doux’. Non pas pour vous attirer comme une abeille serait attirée par du miel, mais pour me mettre à votre service.
Humilité
Jésus utilise un autre mot : humble. Humble de cœur ! ‘Je suis doux et humble de cœur’. Le mot humble, le sens premier, c’est ce qui n’a pas d’intérêt. C’est une humble rivière… C’est un tout petit ruisseau sans gros débit… On ne peut pas naviguer dessus ; c’est inutile. Quand ce mot-là, grec, a été employé dans la Bible, on lui a fait changer son sens. C’est devenu un mot actif : ce n’est plus seulement un état, mais c’est un acte. On le traduit aussi par pauvre, pauvre de cœur. Mais ce n’est pas une misère sans argent, une misère noire, c’est celui qui, au cœur des combats, au cœur des difficultés dans la vie, au cœur des épreuves, sait qu’il a besoin d’être rempli. Il se reconnaît petit, faible, humble. Jésus lui-même est humble. Il est humble parce qu’Il crie vers son Père.
Doux et humble de cœur
On l’a entendu… Ainsi, Jésus, le Christ, se présente à nous non pas comme un roi conquérant et vainqueur, mais comme doux et humble de cœur. Non pas sucré et inutile. Jésus, le Christ n’est pas un bonbon qui consolerait. Non. Jésus se reconnaît comme Fils ayant tout reçu du Père et ayant besoin sans cesse de se recevoir du Père. Alors en disant humble, c’est : ‘je suis ouvert à recevoir ce dont j’ai besoin’. Finalement, Il établit la communication. La communication avec le Père. D’ailleurs, on l’a bien vu, Il a prié : ‘Père, Seigneur du ciel et de la terre, je proclame Ta louange. Ce que Tu as caché aux sages et aux savants, Tu l’a révélé aux tout-petits. Personne ne connaît le Père si ce n’est le Fils, et personne ne connaît le Fils si ce n’est le Père’. Dans sa petitesse, dans ce choix que Dieu a fait de s’incarner de se faire à notre image, notre égal. Il s’est fait esclave. Il est capable d’entrer pleinement dans le mystère de Dieu. Bah, Il est Dieu Lui-même. Mais ça ne s’arrête pas là. Il nous fait cadeau de cet état. Il nous invite à l’imiter, pour être nous-mêmes dépositaire du secret de Dieu, du mystère de Dieu. C’est ce qu’Il dit : « Personne ne connaît le Père si ce n’est le Fils, et personne ne connaît le Fils si ce n’est le Père. Personne ne connaît le Fils si ce n’est le Père, personne ne connaît le Père si ce n’est le Fils et ceux à qui le Fils veut le révéler ». Et le Fils veut nous révéler à tous qui Il est. ‘Je suis doux et humble de cœur. Je veux vous transmettre cette petitesse, cette humilité, cette douceur, afin que vous aussi, vous puissiez comprendre la hauteur, la largeur, la profondeur de l’Amour du Christ’.
En français le mot humble vient d’un mot latin qui est humilis, et ça vient d’un autre mot latin qui est humus, ‘la terre’. La terre. Cela veut dire que on se pousse pas le col, on ne se pense pas déjà au ciel. Nous sommes bien ancrés sur la terre et nous avons besoin de recevoir notre Salut de Dieu. Finalement, si nous voulons avancer vers la sainteté, il nous faut être comme des petites fleurs : bien ancrées dans la terre, prêtes à recevoir la pluie, prêtes à recevoir le soleil. Et alors nous pourrons pousser, grandir et croître, et avancer vers notre Dieu. C’est finalement tout le combat qu’il y a pour nous, pour chacun de nous, que nous présente saint Paul dans la deuxième lecture : vivre selon la chair ou vivre selon l’Esprit.
Vivre selon l’Esprit du Christ, c’est être convaincu, au plus profond de nous-mêmes, que l’on ne peut accueillir la grandeur du Salut de Dieu que humblement. A l’inverse, vivre selon la chair, c’est se croire auto-suffisant. Penser que l’on a besoin de personne. Ni des autres ni de Dieu. Or Dieu, en plus, a souvent tendance à passer par les autres pour nous atteindre. Et du coup, nous ne reconnaissons pas que nous avons besoin de Lui et nous restons secs. Alors, en ce dimanche, nous sommes appelés à vivre selon l’Esprit, humblement, avec toute la douceur même du Christ. Et nous nous mettons au travail, et ce travail, c’est celui d’aimer.