Par l’abbé Gaël de Breuvand
(Les titres sont ajoutés après retranscription, c’est pourquoi le style reste très oral).
Il y a trois semaines, – c’était le jour des confirmations –, nous avons eu l’évangile des béatitudes : . Jésus s’assoit sur la montagne et il nous donne l’objectif de notre vie : être heureux. Et puis depuis le 29 janvier, chaque dimanche, nous entendons la suite de ce discours sur la montagne. Nous avons eu ce passage où nous devions être lumière, – lumière qui ne doit pas être cachée – ; Nous avons eu ce passage où Jésus commençait en disant : ‘les anciens nous ont dit…, eh bien moi, je vous dis !’. Et là, nous continuons ce raisonnement.
I – non pas ‘ne pas avoir d’ennemi’, mais « aimez vos ennemis »
Alors aujourd’hui, les paroles qui nous sont données sont un peu…, un peu dures quoi ! C’est un peu raide ! ‘Aimez vos ennemis, tendez la joue gauche, faîtes 2 000 pas avec celui qui vous réquisitionne pour 1 000’… – A l’époque romaine, un soldat romain pouvait réquisitionner le passant pour lui faire porter son barda pendant 1 km ou un peu moins. Et le barda du soldat romain, c’est 40 kg, quoi. Donc c’est un vrai effort –. Et là, le Christ nous dit : ‘fais-en, non pas 1 mais 2 km. Donne ton manteau alors que l’on ne te demande que ta tunique. Donne à celui qui veut t’emprunter’. Cela nous paraît beaucoup.
Peut-être qu’on pourrait recevoir, entendre une chose, déjà… Il nous est dit : « tu aimeras ton ennemi’ ». Cela implique que nous pouvons avoir des ennemis. Qu’avoir un ennemi, ce n’est pas quelque chose de mal, en soi, pour moi. C’est un peu étonnant quand même ! En fait, Jésus, dans cette parole, ne nous demande pas d’être ‘gentils’. Être chrétien, ce n’est pas être gentil ; être chrétien, c’est être attaché au Christ, l’aimer de toutes ses forces et vouloir la joie et le bonheur de tous ceux que nous rencontrons. Pour autant, celui qui pour des raisons diverses et variées m’en veut, me hait, me persécute, je n’ai pas à être gentil avec lui, pour qu’il ne soit pas méchant. C’est tout le principe de la persécution. Je suis attaché au Christ, je le dis… et celui qui me persécute, celui qui me dit : ‘renie le Christ’, je ne vais pas – pour lui faire plaisir – renier le Christ. Pour autant, je vais essayer, en tout cas avec la grâce de Dieu, de l’aimer.
Ce serait peut-être plus facile d’une certaine manière de se dire, ‘il faut que je sois gentil avec les autres. Il faut que je n’aie pas d’ennemis’. Mais en fait, cela n’est pas tout à fait crédible. Il y a des choses plus importantes, plus essentielles peut-être, que d’avoir simplement une paix qui serait un peu fausse puisqu’elle fondée sur des non-dits. Je pense que si on réfléchit quelques instants, il y a des principes essentiels que nous devons tenir, même si les autres ne sont pas d’accord, même si les autres nous en veulent pour cela.
II – La logique du dépassement, du toujours mieux, la logique du succès
Pour autant… Pour autant nous sommes invités à faire un pas de plus. Mais là encore, on peut se tromper assez facilement. – C’est mon deuxième point –. On peut se tromper assez facilement. On peut croire que Jésus nous demande de faire un peu plus, un peu mieux ; être dans une logique du dépassement, ce qui est très contemporain. Plus riche, plus fort, plus puissant, plus… Une logique du toujours mieux. Et ce n’est pas ce que Jésus nous demande. D’ailleurs, si je veux, –même pour des raisons morales –, si je me dis : ‘je veux être meilleur, je ne veux plus me mettre en colère, je veux être gentil avec ceux qui sont autour de moi, je ne veux plus être paresseux’… Bon. On constate bien que sans cesse, nous avons à faire face à l’échec. Pour moi, et je pense que pour vous aussi, – j’ai quelques témoignages –, lorsque je vais me confesser, je confesse toujours la même chose. Je n’ai pas vraiment l’impression de m’améliorer d’une fois sur l’autre. Alors, est-ce que ce que me demande Jésus est impossible ? En tout cas, ce n’est peut-être pas selon une logique de succès qu’il nous faut réfléchir.
Le risque, ce serait que si je veux entrer dans une logique de réussite et de succès… Le risque serait de se créer soi-même ses valeurs. C’est la philosophie de Nietzsche par exemple. Une volonté de puissance… je me dépasse sans cesse, je vais un peu plus loin… Bah, tant pis si j’écrase les autres. Et puis en plus, comme je suis sans cesse en échec, eh bien… dans ce mythe du surhomme, dans ce mythe de celui qui se dépasse sans cesse et bien, au bout d’un moment, je me rends compte que je n’y arrive pas et je tombe dans le désespoir. C’est ce qui est arrivé à ce philosophe Nietzsche : à la fin de sa vie, il est devenu fou, littéralement. Et il a passé 15 ans en ‘maison de fous’…
Et de fait, lorsque je dis ‘je veux être saint’ et si j’essaie d’y arriver par mes propres forces… Eh bien je me rends compte d’une chose, c’est que je n’y arrive pas. Et la tentation qui vient alors est celle du désespoir et je me dis alors : ‘de toute façon je n’y arriverai pas, donc laissons tomber !’.
III – ne pas entrer dans la spirale du mal et laisser le Christ habiter en moi
Évidemment, Jésus ne nous invite pas au désespoir. Évidemment Jésus, Lui, pour nous, Il veut la vraie joie et le vrai bonheur. Alors qu’est-ce que nous révèle Jésus dans cette parole ? Il nous révèle, d’abord, que le mal est mal et que le bien est bien. Et que je ne peux pas mélanger les genres. Je ne peux pas, en vue d’un bien, poser un acte mauvais. On me claque sur la joue droite ; c’est un acte mauvais. Si je réponds par un coup de poing, est-ce que je pense arriver à quelque chose de mieux ? Répondre à la violence par la violence, c’est finalement une spirale qui va nous entraîner à l’échec.
C’est pour cela que Jésus me demande à moi, de ne pas riposter au méchant et même mieux, de le laisser aller jusqu’au bout de sa logique. Et moi je me rends compte de ma faiblesse. Alors, bien évidemment, pour cela il faut commencer par percevoir ce qui est mal et ce qui est bien. Ce qui est mal, c’est ce qui me limite, qui m’enferme. D’ailleurs dans la bible, on présente Satan d’abord comme celui qui ligote, celui qui lie, celui qui rend esclave et ce qui est bien au contraire c’est ce qui m’ouvre, ce qui me permet de rayonner, ce qui me permet d’être en relation. Et Jésus, Sauveur, c’est celui qui me délie, c’est celui qui me libère, c’est celui qui me permet d’aimer.
Alors, il va falloir faire un choix et c’est cela que Jésus nous appelle à faire aujourd’hui ; choisir. Oui, je choisis de suivre le Christ, malgré mes faiblesses, malgré mes limites. Je choisis de le suivre. Est-ce que je vais arriver à le suivre tout le temps ? Je me connais bien moi-même ; je sais que non. Mais je choisis de le suivre et de sans cesse accepter de me laisser relever, me laisser aimer par Lui. C’est un choix… ; et alors, j’accepte de me laisser sauver. Ce n’est pas moi qui me sauve moi-même, ce n’est pas moi qui pose les actes bons qui vont me permettre de mériter le ciel. Est-ce que je peux mériter le ciel ? Non. Non, je vais accomplir ou réaliser ce que me propose saint Paul. ‘Ne savez-vous pas que vous êtes le sanctuaire de Dieu ? Je veux laisser en moi habiter l’Esprit saint. Je veux laisser en moi habiter le Christ et lorsque je me détourne de Lui, je choisis aujourd’hui, sans cesse, sans me lasser, de me retourner et de me laisser sauver par Lui. De me laisser convertir…
Alors est-ce que c’est plus facile que de se dépasser sans cesse ? Pas forcément… Mais le gros avantage, c’est que c’est le Christ qui agit en moi. Je me laisse porter par Lui. J’accepte qu’Il me sauve. Alors, oui, laisser le Christ habiter en moi, si je laisse vraiment le Christ habiter en moi, alors Il pourra me parfaire. Il pourra m’achever… – Vous savez que le mot défunt, ça veut dire accompli ? – Lorsque je serais défunt, lorsque je serai accompli, je pourrai me laisser inonder, remplir de la grâce de l’Amour de Dieu tout entier. Et je serai saint, comme Lui est saint. Je serai saint parce que Lui est saint. C’est Lui, Dieu, qui me sauve.
Voilà ! C’est peut-être la clé de cet évangile. La clé d’ailleurs de toute la révélation de Dieu. C’est que nous sommes faibles. Nous avons une chose à faire, c’est reconnaître notre faiblesse. ‘Heureux les pauvres en esprit, le royaume des cieux est à eux’. Reconnaître notre pauvreté et nous laisser sauver, par Lui, et c’est Lui qui fera de nous des saints, c’est Lui qui nous fera parfaits.
Alors aujourd’hui, nous allons le recevoir, dans l’Eucharistie, Il se donne tout entier pour venir habiter en nous ; Il vient faire sa demeure en nous ; Laissons-nous conquérir par Lui. Par sa tendresse, par sa douceur, par son Amour ; et choisissons de le suivre, avec les hauts et les bas de nos vies. Choisissons de le suivre et de nous laisser aimer.