Mgr Patrick Le Gal
(Il s’agit d’une retranscription ; le style reste donc oral).
C’est donc la fête du Christ Roi ; fête qui est relativement récente dans l’Eglise, mais dont les racines, directement bibliques et évangéliques, sont bien présentes ; fête qui peut paraître comme un peu décalée par rapport à ce que nous vivons et qui est, en fait, centrale par rapport à ce que le Seigneur nous invite à vivre aujourd’hui.
J’aimerais souligner ce que signifie cette figure du Christ Roi. Comment l’Evangile lui-même en parle… et toute la Bible. Et j’aimerais aussi élargir ce regard sur le fait que s’il y a Christ Roi, il y a un peuple qui est tout entier royal. Nous sommes, et la liturgie insiste beaucoup – bien sûr la liturgie baptismale mais aussi l’Ecriture – sur ce fait que nous sommes un peuple royal. Nous devons donc regarder le roi, le Christ, Roi de l’Univers, mais aussi ce peuple tout entier royal, c’est-à-dire nous et ce que cela nous invite à vivre.
D’abord cette figure du Christ Roi. Dans la liturgie, vous l’aurez peut-être repéré au passage, on utilise pour expliciter, pour manifester, pour enraciner cette figure du Christ Roi, la figure du Bon Pasteur. Le Bon Pasteur c’est celui qui s’occupe de ses brebis, celui qui se fait serviteur, celui qui connait ses brebis, qui compatit à leurs épreuves éventuelles et encore qui donne sa vie. L’image du roi, parce qu’elle est connotée politiquement, peut–être mal comprise ; c’est pour cela que dans la liturgie, à côté de cette image du roi, il y a l’image du bon pasteur qui est beaucoup plus anciennement honorée dans l’iconographie et la catéchèse chrétiennes et qui peut-être est mieux saisie. Le bon pasteur est au service de ses brebis. Il ne règne pas pour lui-même, n’a pas d’ambition personnelle. Il se fait serviteur, et nous savons combien dans l’Evangile, cette figure du serviteur, du Jésus serviteur, déjà annoncée par Isaïe comme serviteur souffrant est prégnante et présente. Et ce bon pasteur, ce bon roi, il connait ses brebis et il compatit à toutes leurs épreuves. Il est proche.
Un roi par principe s’unit à tout son peuple et parfois, il est comme décalé, détaché des uns et des autres. Le bon pasteur, le vrai roi, le Christ Roi, lui, connait chacun. C’est une surprise que nous aurons… je ne sais pas si vous avez déjà imaginé ce que sera notre arrivée au paradis. Vous verrez, heureusement pas tout de suite, certes, mais c’est quand même bien… car on se fait peur pour pas grand-chose parfois. Dans l’arrivée au paradis, il y a cette rencontre ultime avec le Christ. Et le Christ nous appellera par notre nom. Et vous verrez, il connait les tours et les détours de notre conscience, de notre vie dans tout ce qu’elle a d’extraordinaire, de belle et aussi dans ses pauvretés, ses misères et ses ombres. Il connait même nos ombres, non pas pour nous condamner, mais pour nous purifier si nous le désirons, afin de nous conduire à Lui. C’est ça, vraiment, le bon pasteur ! Cette proximité au service de la sainteté de ses brebis.
Vous connaissez cette parabole de la brebis perdue. Une seule brebis perdue sur un troupeau de cent ! Moi, je dis… c’est bien. 99% de pratiquants à Brignais, c’est bon ! Je pense qu’il faudrait agrandir l’église. Et bien le bon pasteur, ce n’est pas du tout cela. Ce n’est pas une statistique, c’est chaque brebis ; y compris la brebis perdue que l’on va chercher jusqu’à ce qu’on la retrouve. Le Christ Roi c’est cela. C’est ce sage gouvernement qui fait que chacun est connu, que le Roi se met au service de chacun et de chacune. Il connait nos besoins, il entend notre cri, notre parole, il compatit à nos épreuves et il donne sa vie pour son royaume, c’est-à-dire pour ceux qui sont au cœur de cet univers qu’il régit.
En cette fête du Christ Roi, je crois qu’il est bon de se rappeler, de méditer, de goûter, de savourer cette figure du Roi en pasteur, proche, miséricordieux, magnanime et en même temps qui nous appelle non pas à quelque chose de médiocre, mais à une proximité.
Ce roi nous invite en son Royaume et c’est une demande que nous faisons tous les jours, sans peut-être nous en rendre compte. En disant le Notre-Père, peut-être même plusieurs fois par jour. ‘Que ton règne vienne ‘. Que ton royaume vienne. C’est le même mot en grec pour dire règne, royaume. Qu’advienne ton royaume. Est-ce qu’on peut supporter encore longtemps ce mélange de bien et de mal… alors on crie vers le Seigneur : ‘que ton règne vienne’ ! Ce règne de ce sage gouvernement de toute chose, où nous allons être rassemblés par le Seigneur dans l’unité et la paix. Dans les prières que font souvent les jeunes, je le vois notamment quand je prépare les confirmands à la confirmation, il y a cette demande qui revient souvent : la paix ! Et ils voient sans doute d’un œil étonné ce monde qui parle de faire la paix et qui construit des institutions pour cela et ce monde où déferle la guerre de plus en plus. Les mass-médias nous les montrent comme si nous y étions quasiment.
Nous aspirons à la paix, à l’unité retrouvée au-delà de toutes divisons et nous savons que c’est bien la volonté de ce roi de créer ce royaume où il y a cette unité et cette paix, pour tous, où est accompli toute justice en vérité. Et que ce royaume grandit déjà ici, nous y travaillons ; mais que nous l’atteindrons seulement dans l’autre monde, précisément le règne du Christ, dont nous appelons l’avènement… Que ton règne, Seigneur, vienne. Cette fête du Christ Roi, d’une certaine manière, c’est comme un déploiement de cette demande du Notre-Père. La fête du Christ Roi c’est une fois par an, et la demande du Notre-Père élargit ce regard, tout au long des jours et des heures.
J’ajouterai à propos de ce royaume, de ce sage gouvernement de toute personne et de toute chose, qu’il y a quelque chose d’assez extraordinaire qui se manifeste à travers le choix de l’Eglise pour l’Evangile de ce jour. Imaginez que le Pape, ou le cardinal, chargé par le Pape de réformer la liturgie, propose de demander à une paroisse, qui est bien vivante dans le bon diocèse de Lyon de proposer, de réfléchir à la fête, à la liturgie du Christ Roi. ‘Choisissez les textes pour la liturgie du Christ-Roi, un évangile, pour la fête du Christ-Roi’. Seriez-vous allés chercher ce passage de la passion de Jésus selon Saint-Luc ? Moi, quand je pense Roi, je pense prince, princesse… Je vois des lumières, je vois quelque chose de très beau, de très agréable, de très léger, de réussi.
Et là, on nous montre Jésus qui meurt sur la croix. Pourquoi l’Eglise, dans sa sagesse, a-t-elle choisi cela ? Et depuis toujours ! Enfin depuis que cette fête est fête. Ce n’est pas parce que Pilate avait fait mettre un écriteau indiquant : ‘Celui-ci est le roi des Juifs’. C’est parce que Jésus manifeste pleinement sa royauté à travers son attitude : c’est là qu’Il sauve le monde. C’est comme les armes du royaume… Il y a quelque chose du rassemblement dans la paix, dans la justice et dans l’unité, qui est fait autour du Christ, par le Christ et en Lui. Mais surtout il y a un petit détail dans cette page de l’Evangile (à la fin), qui est extrêmement singulier et qui manifeste comme symboliquement la puissance de ce bon gouvernement, de ce saint Roi qu’est Jésus, Roi de l’Univers.
C’est l’épisode du bon larron. Vous savez il y a Jésus qui est en croix : il va mourir ! Grande souffrance. Et en même temps, puissance du Salut qui vient ; et puis à droite et à gauche il y a deux larrons. Des bandits, des criminels, des gens qui ont fait des choses horribles, on ne sait pas quoi, mais pas bonnes du tout. Et ils sont dans la violence, car ils sont dans la souffrance et cette mort est terrible et ils s’acharnent sur Jésus, ils l’injurient. Mais un des deux larrons, celui qu’on appelle le bon larron se dit : quand même, on ne devrait pas injurier Jésus parce que lui, il n’a rien fait de mal alors que nous, on a la rançon de ce que l’on a fait. Et il tente une petite prière, vraiment à la dernière seconde, il va mourir. Il se dit : ‘je tente une prière auprès de ce Jésus’, et il dit : ‘souviens-toi de moi quand tu seras dans ton royaume’. Et vous avez entendu, vous connaissez la réponse de Jésus. Jésus qui n’en peut plus ; dans quelques minutes il va mourir ! Il a dû tirer sur ses bras pour prendre un peu d’air et pouvoir parler et il dit un mot, si bref et si fort : ‘aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le paradis’. Crac !
Qu’est-ce que cela veut dire ? Que dans le paradis, on va retrouver d’abord – c’est l’Evangile qui le dit -, les bandits, les prostituées, tout le petit monde comme ça… c’est gai, ce paradis… C’est vraiment « sortie de prison » ! Ce sont les premiers ; l’Evangile le dit… Lisez mieux ! Bien sûr, le larron nous précède, il est le premier à rentrer dans le Royaume. C’est le premier. Mais c’est un larron sauvé, un larron converti, un larron transformé par la Grâce. Vous ne le reconnaîtrez pas ! N’ayez pas peur en arrivant au paradis de tomber sur je ne sais quel bandit. Non, c’est un bandit sauvé ! Nous sommes tous pécheurs mais nous sommes tous appelés à être sauvés. Ne me dites pas… le Royaume… Je dis bien le Notre-Père, mais je n’y arriverai pas parce que je suis pécheur. Le bon larron… Tentez votre chance ! Dites : ‘souviens toi Seigneur’ et le Seigneur dit : ‘Oui, je me souviens. Je me souviens de tout ce que tu as fait, y compris ce que tu as oublié toi-même, telle ou telle chose excellente que tu as faite. Et au nom de cela je te sauve, si tu l’acceptes’. Ce bon Roi, ce Roi, ce Christ-Roi de l’Univers, c’est celui qui n’exclut personne. Tout le monde est appelé. Et c’est à nous de répondre, d’accueillir cette Parole, ce sage gouvernement de ce Roi qui sauve et qui sanctifie le bon larron, même la femme adultère, même je ne sais qui… nous !
Et je voudrais dire un mot au-delà de cette figure de ce Christ-Roi de l’Univers, sur le peuple tout entier royal. Vous savez, nous disons cela au baptême, c’est très fort. Au baptême, on est très attentif au bébé pour qu’il ne pleure pas, alors on n’est pas toujours attentif aux paroles. Mais le prêtre ou le ministre qui célèbre le baptême dit au baptisé et tout le monde l’entend : ‘tu es désormais membre du Christ, prêtre, prophète et roi, membre du corps du Christ, Roi’. Le Christ est Roi et nous, nous sommes inséré par le baptême, dans ce peuple tout entier royal… Ça veut dire quoi ? Ce n’est pas une manière jolie de dire les choses comme cela pour faire plaisir à la famille du baptisé. Ça veut dire que tout baptisé est invité, pas seulement à être là : ‘assieds-toi là et ne bouge plus parce que tu risques de faire des bêtises’… Non, non… Ce n’est pas ça ! Tout baptisé est invité à collaborer à ce gouvernement de Dieu sur l’Univers. Collaborer déjà maintenant. Nous ne sommes pas des sujets passifs qui recevons et puis basta. Non. Nous sommes des sujets appelés à recevoir le don de Dieu, à l’accueillir pour qu’il porte un fruit et un fruit qui demeure. Songez à la parabole des ouvriers appelés à la vigne ; où revient comme un refrain cet appel multiple de Jésus : ‘viens travailler à ma vigne. Toi aussi, viens travailler à ma vigne. Tu as reçu le baptême, tu as reçu une grâce, tu es fils de Dieu. Tu n’es pas simplement là pour écouter et te taire mais pour agir, collaborer et être associé’. Si jamais vous lisez une fois, et après tout pourquoi pas, un des documents principaux du Concile Vatican II sur l’Eglise, et notamment la dernière partie sur la Vierge Marie, vous verrez : les pères du Concile Vatican II ont multiplié ces mots pour parler de la Vierge Marie. Quelle attitude a eu la Vierge Marie et quelle attitude est appelée à avoir toute personne, appelée à la sainteté, par le baptême. Ceux qui se préparent au baptême – ou qui peuvent s’y préparer – sont appelés à être associé et collaborateur de la rédemption. Si vous ne savez pas quoi mettre sur votre carte de visite, mettez cela : ‘collaborateur de Dieu au Salut du Monde’. Je ne sais pas si à Pôle Emploi, cela aide beaucoup mais quand même, ça touche. Collaborateur de Dieu, pas moins ! Mais soyons-le vraiment. ‘Viens toi aussi travailler à ma vigne. Toi le bon larron, tu n’as plus beaucoup de temps, c’est vraiment la dernière heure, la dernière minute, mais viens aussi travailler à ma vigne’. Tous nous recevons des talents. C’est la miséricorde de Dieu qui nous donne à tous des talents, comme dans la parabole des talents. Plus. Moins. Tel Talent… Pour que le monde soit beau, il faut que les talents soient multiples. L’important n’est pas d’avoir reçu tel ou tel talent, au singulier ou au pluriel. C’est de savoir les accueillir, les reconnaître, les discerner, il y a aussi là un chemin de conversion : reconnaître que je suis l’objet de la miséricorde de Dieu. Tout comme la Vierge Marie qui le dit : ‘le Seigneur a fait pour moi de grandes choses’. Et l’Eglise nous fait dire cette prière pour qu’elle devienne notre prière. ‘Oui, Seigneur, tu as fait pour moi de grandes choses. Et je veux, avec ta grâce, entrer dans ce gouvernement divin pour mettre en œuvre ces talents, les faire fructifier et que cela soit une joie pour tout un chacun … que cela rayonne et porte des fruits multiples’. Telle est finalement cette perspective de ce gouvernement divin qui fait que nous sommes, l’Eglise, un peuple tout entier royal.
Je vois bien une difficulté. Comment répondre et être à la hauteur de l’appel de Dieu. Oui, la Vierge Marie a répondu parfaitement, mais la Vierge Marie, immaculée conception… Ce n’est pas un cas courant… Alors il ne faut pas se dire qu’à la force du poignet on va y arriver. Par mes seules forces, non. Parce que nous sommes faibles et nous le savons bien. Mais il faut s’appuyer sur la seule force et les dons de l’Esprit saint, et sur l’Eglise, corps du Christ, dont Il est la tête. Être greffé sur une communauté concrète, une paroisse, un mouvement, tel groupe à l’intérieur de la paroisse… qui va me permettre de recevoir jour après jour, et de vivre, la grâce des sacrements. Une force divine, Dieu lui-même qui vient en moi pour me permettre d’être ce vrai collaborateur, d’être au service de ce Roi et au service de l’unité et de la justice en ce monde pour préparer le Royaume dans l’autre. Une communauté concrète dans l’Eglise pour pouvoir entendre la Parole et les uns les autres, nous aider à la recevoir, en avoir l’intelligence et en vivre. Répondre aussi à l’appel de Dieu par l’exercice de la charité, de la justice. C’est le dernier jour de l’année de la miséricorde. A Fourvière la paroisse de Brignais est venue, à peu près une paroisse par semaine pendant l’année et puis à partir de septembre c’était deux ou trois paroisses par semaine et depuis trois jours c’est quatre paroisses par jour. Il était temps ! Le temps de la miséricorde reste ouvert. On nous a rappelé ces œuvres de miséricordes spirituelles et corporelles auxquelles on peut s’adonner. Eh bien, vivons-en ! Par l’exercice de la charité, de la justice à travers ces œuvres de miséricorde. Eh bien, c’est une manière de répondre à cet appel du Seigneur. Finalement, le grand axe de ce gouvernement du Christ Roi, son programme si j’ose dire (il me semble que c’est d’actualité ce genre de questions) c’est de prendre conscience, de recevoir et d’exprimer la miséricorde de Dieu qui vient en nous. Exprimer concrètement, à travers ses gestes, ces œuvres… J’évoquais avec les servants d’autel tout à l’heure, ces deux figures remarquables de Saint-Martin ou Saint-Vincent de Paul, même s’ils ne sont pas de Brignais ou de Lyon, on sait bien que sur ce terrain aussi, ont grandit tel ou tel cœur ouvert, qui constitue un exemple, un appui, pour, à notre tour, vivre par des gestes très simples ces œuvres de miséricorde, cet exercice de la charité pour répondre à l’appel de Dieu, parce que chaque fois que nous faisons un geste dans l’ordre de la charité, c’est Dieu qui agit en nous et c’est nous qui agissons directement envers Dieu… ‘Ce que tu as fait au plus petit d’entre les miens, c’est à moi que tu l’as fait’, dit Jésus dans Saint-Mathieu.
Alors si, aujourd’hui, c’est la clôture du jubilé, ce n’est pas pour autant la clôture des portes du cœur de Jésus, c’est au contraire une forte invitation à vivre maintenant ce mystère de la miséricorde divine après l’avoir contemplé pendant un an, à en vivre pleinement pour pouvoir devenir de vrais collaborateurs, de saints collaborateurs du Christ-Roi de l’Univers, Amen.