Par l’abbé Gaël de Breuvand, Homélie du 5e dimanche de Carême Année C. C’est la transcription d’un texte oral. Les titres sont ajoutés après relecture
Alors, ce passage de l‘évangile, nous le connaissons – on aurait presque pu le dire ensemble – en revanche, il n’en est pas de même pour les autres lectures, donc on va peut-être plus revenir dessus.
I – faire mémoire des merveilles de Dieu, laisser nos enfermements derrière nous
La première Lecture du prophète Isaïe : le peuple est en détresse, il est en exil, il est loin de sa terre et de son temple. D’ailleurs, son temple est tellement loin qu’il a été détruit. Le peuple d’Israël a l’impression qu’il a été abandonné de Dieu. Et Isaïe, le prophète, est là pour les consoler, pour les rassurer, pour leur donner un chemin. Et il parle au nom de Dieu. Ce Dieu, Lui qui a fait un chemin sur la mer, Lui qui a libéré le peuple d’Égypte, Lui qui est un sauveur, qui prend soin de Son peuple. On fait mémoire de ce qu’est Dieu. Et le Seigneur paraît être en pleine contradiction. Le Seigneur dit : « Ne faites plus mémoire des événements passés ». D’un côté, on se souvient de tout ce qu’a fait Dieu et, de l’autre côté, on ne dit de ne plus faire mémoire des événements passés. Bizarre, non ? Peut-être parce que ce ne sont pas tout à fait les mêmes événements dont il faut, pour les uns, se souvenir et, pour les autres, ne pas se souvenir. Oui, nous pouvons garder en mémoire, faire mémoire souvent, régulièrement, des merveilles de Dieu. Oui, et c’est important, pour pouvoir rendre grâce, pour pouvoir faire eucharistie, pour pouvoir faire ce pour quoi nous sommes faits. En revanche, il faut peut-être oublier nos chutes, nos enfermements, les raisons pour lesquelles nous sommes dans une situation si compliquée, non pas pour faire table rase du passé, mais pour ne pas rester enfermé. Qu’est-ce qu’il faut oublier ? Il faut oublier la manière dont le peuple d’Israël était idolâtre et se tournait vers autre chose que son Dieu ; il faut oublier la manière dont le peuple d’Israël était dans une grande injustice sociale et ne faisait pas attention aux plus pauvres ; il faut oublier tous ces péchés, pour pouvoir vivre. « Voici que je fais une chose nouvelle, elle germe déjà… Ne la voyez-vous pas ? » Cette chose nouvelle, c’est l’appel de Dieu qui germe dans nos vies, et Dieu nous appelle à aimer, maintenant, là, aujourd’hui, au présent. Ne nous laissons pas enfermer dans le passé. Avançons, c’est aujourd’hui qu’il nous faut aimer ! Ce ne sera pas forcément confortable, peut-être que vraiment, ce passé est un peu lourd, mais nous sommes invités à faire comme le semeur du psaume : il s’en va, il s’en va en pleurant, il jette la semence. Ce sera peut-être compliqué, mais un jour viendra où nous serons dans la joie, où nous récolterons ce que nous avons semé.
II – Des cases à cocher ou la course de l’amour ?
Et puis, il y a la Lettre de saint Paul aux Philippiens. Les habitants de Philippes sont des bons amis de Paul, il les aime tout particulièrement, et il le leur dit d’ailleurs. Mais il les interpelle quand même, il veut leur bien et leur joie. Aussi, leur rappelle-t-il ce qui est essentiel : et ce qui est primordial, c’est le Christ. Tous les avantages que j’avais, tout cela n’est que rognures d’ongle, ordures, raclures – le mot grec désigne ces trois choses. Cela ne vaut rien. La seule chose qui compte, c’est le Christ ! J’étais Pharisien : ça ne compte pas ! J’étais riche : ça ne compte pas ! J’étais savant : ça ne compte pas ! Le Christ, et seulement le Christ. Et pourquoi le Christ? Parce que c’est Lui qui sauve, qui nous donne la vraie joie et le vrai bonheur. C’est Lui qui nous justifie, qui nous transforme, et qui nous ajuste à Dieu. Non pas de la justice venant de la loi de Moïse, mais de la justice qui vient de la foi au Christ. Vous savez cette différence… La justice de la loi, c’est notre tendance à vouloir cocher les cases : « Oui, c’est bon, j’ai honoré mon père et ma mère, hier, je n’ai pas besoin de le faire aujourd’hui. » « C’est bon, je n’ai pas volé, il ne faut pas me demander d’être généreux. » Cette justice des cases à cocher, qui nous fait passer à côté de l’essentiel. L’essentiel ? C’est de se laisser toucher pas le Christ, et alors notre vie est changée. Oui, il va falloir qu’on décide, qu’on accepte de se laisser changer. Il va falloir qu’on s’arrache à certaines difficultés, à certaines tentations, à certains esclavages… Et c’est pour cela que, comme saint Paul, nous sommes en train de courir la course. Le prix ? Il est au bout, déjà gagné, il nous est tendu, nous n’avons qu’à le prendre… Il est déjà gagné ! Et d’ailleurs, je n’ai même pas à arriver le premier, le tout c’est que j’arrive… Ce n’est pas une course où il faudrait écraser les autres pour y arriver. Au contraire… Au contraire… Je cours vers le but en vue du prix auquel Dieu nous appelle là-haut, dans le Christ Jésus. Saint Paul nous invite à avancer en faisant le choix de l’amour, et non pas en faisant la liste des cases à cocher.
III – Comme la femme adultère laisse-toi libérer par le Christ
Et, enfin, cet évangile ! On le connaît bien. Jésus enseigne, cela attire du monde. Et Il a des ennemis, ces Pharisiens et ces scribes, justement les spécialistes de la loi, au sens des cases à cocher. Ah ! Elle a péché, elle est adultère – et, effectivement, c’est un péché grave, ne relativisons pas, c’est une faute lourde contre soi-même, contre son conjoint, contre celui avec qui elle trompait son conjoint – d’ailleurs la loi de Moïse disait qu’il fallait condamner les deux à mort – contre la société, car toute une société est blessée par ce type de péché, donc c’est grave ! Et c’est bien pour cela que la loi de Moïse prévoyait la condamnation à mort par la lapidation. Et ils veulent tendre un piège. Pourquoi ? Parce que la lapidation des femmes adultères, en réalité, cela ne se faisait pas. Et, du coup, si Jésus dit « il faut respecter la loi », on pourra lui dire « Ah oui, tu es quand même hyper dur, donc on ne peut pas te suivre, et puis tu te contredis, tu étais miséricordieux hier. » Et puis, s’Il dit qu’il faut être souple et qu’on peut « laisser passer », on va lui dire « mais attends, la loi c’est notre seule vérité, la seule chose qui nous fait vivre. » Donc, on le piégera dans tous les cas. Et Jésus… ne répond pas…il ne répond pas… Et il écrit sur le sol. Aaah, on aimerait bien savoir ce qu’Il écrit sur le sol… Des générations de Pères de l’Église et de théologiens se sont posé la question « Qu’a-t-il écrit sur le sol ? » Alors, certains se disaient « Il écrit la liste des péchés des gens qui étaient là autour de Lui ». Moi, je ne vois pas bien Jésus faire ça. Je préfère me dire – ce n’est que mon opinion, vous avez le droit de penser ce que vous voulez, ce n’est pas dans la Parole de Dieu – je préfère penser qu’Il écrit les noms de ceux qui sont là, car chacun d’eux est connu de Dieu, d’une manière toute particulière, et appelé par son nom. Ce matin, on a baptisé un petit Mathieu ; il est désormais connu par son nom de Dieu. Ce nom-là est inscrit dans le cœur de Dieu. Donc, Jésus les aime, chacun. Il les invite à une chose étonnante : « Celui d’entre vous qui est sans péché, qu’il soit le premier à lui jeter une pierre. » Dans la tradition juive, lorsqu’il y avait le cas d’un péché d’idolâtrie, lorsqu’on met autre chose que Dieu à la place de Dieu – je ne sais pas si c’est clair – eh bien, il était prévu qu’il y ait une première pierre. Et là, on est dans un cas d’adultère. Jésus signifie ainsi qu’adultère et idolâtrie, cela se ressemble. Lorsque je mets à la place de mon Seigneur, ou à la place de celui que je dois aimer, quelque chose d’autre, eh bien, c’est une forme d’idolâtrie, c’est un péché grave. Et là, ils entendent, ces Pharisiens qui connaissent bien la loi, et tout d’un coup ils se sentent concernés. Ont-ils, tous, placé Dieu en premier dans leur vie ? Avons-nous placé Dieu en toute chose, premier, dans nos vies ? Car la question est pour nous ! De fait, cette femme adultère n’a pas placé Dieu en premier dans sa vie. Les Pharisiens non plus ; et ils s’en vont. Et c’est peut-être dommage, car la parole que Jésus dit ensuite, est aussi pour eux. Elle est pour nous : « Non, je ne te condamne pas ; mais va, et ne pèche plus. »
Cette parole est pour moi, « va, et ne pèche plus », ne te laisse pas enfermer par le passé, oui tu as fait des choses atroces, etc., mais aujourd’hui tu peux vivre. Vis, et aime. C’est cela l’appel de Dieu pour nous : vis, et aime !